Un Âne eut le secret d'amasser sa fortune.
N'en soyez pas surpris,
Cat la chose est assez commune.
Comme il voulait avoir son portrait à tout prix,
Un peintre renommé fut mandé par le sire,
Et convint do le reproduire
En grand,
Le modèle se place et l'artiste entreprend
De l'imiter avec franchise.
Il y parvient sans peine, et voilà le tableau.
L'Âne, aussitôt qu'il voit lé coin de son museau,
Recule en brayant do surprise,
— Mille boisseaux d'avaine ! ah 1 que mon nez est laid '
Cet oeil est morue et me déplaît.
Quelle bouche fendue ! On la croirait oblongue...
Je n'ai pas l'oreille aussi longue,
À qui pensiez-vous donc, en me privant de crins,
Et dois-je m'applaudir d'en compter quelques uns.
Effacez à l'instant cette caricature
Qui ne retrace en rien ma grâce et ma structure.
Je commande et paîrai suivant Votre désir ;
Mais j'attends un portrait qui me fasse plaisir.
Changez-moi mon habit ; ma jambe se tient raide.
Redressez-moi le cou ; que mon oreille soit
Juste de la hauteur de votre petit doigt.
S'il reste en cet état, je plaide,
Recommencez. L'artiste cède :
Il dessine un coursier fringant,
Puis, l'ayant revêtu d'un harnais élégant,
Il attend que le fat daigne se reconnaître.
— À la bonne heure, ami, vous êtes un grand maître !
Et si vous m'achevez, je serai sans rival.
L'artiste encouragé termine sa peinture.
Cependant le portrait fut celui d'un cheval.
On se croit autrement que n'a fait la nature.