L'Âne et le Peintre Joseph Poisle-Desgranges (1823 - 1879)

Un Âne eut le secret d'amasser sa fortune.
N'en soyez pas surpris,
Cat la chose est assez commune.
Comme il voulait avoir son portrait à tout prix,
Un peintre renommé fut mandé par le sire,
Et convint do le reproduire
En grand,
Le modèle se place et l'artiste entreprend
De l'imiter avec franchise.
Il y parvient sans peine, et voilà le tableau.
L'Âne, aussitôt qu'il voit lé coin de son museau,
Recule en brayant do surprise,
— Mille boisseaux d'avaine ! ah 1 que mon nez est laid '
Cet oeil est morue et me déplaît.
Quelle bouche fendue ! On la croirait oblongue...
Je n'ai pas l'oreille aussi longue,
À qui pensiez-vous donc, en me privant de crins,
Et dois-je m'applaudir d'en compter quelques uns.
Effacez à l'instant cette caricature
Qui ne retrace en rien ma grâce et ma structure.
Je commande et paîrai suivant Votre désir ;
Mais j'attends un portrait qui me fasse plaisir.
Changez-moi mon habit ; ma jambe se tient raide.
Redressez-moi le cou ; que mon oreille soit
Juste de la hauteur de votre petit doigt.
S'il reste en cet état, je plaide,
Recommencez. L'artiste cède :
Il dessine un coursier fringant,
Puis, l'ayant revêtu d'un harnais élégant,
Il attend que le fat daigne se reconnaître.
— À la bonne heure, ami, vous êtes un grand maître !
Et si vous m'achevez, je serai sans rival.
L'artiste encouragé termine sa peinture.
Cependant le portrait fut celui d'un cheval.

On se croit autrement que n'a fait la nature.

Livre II, fable 17




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