Un beau matin, dame Margot,
Honnête et bonne créature,
N'ayant, je crois, d'autre défaut
Que de parler outre mesure,
S'en revint des lointains pays,
Après mainte et mainte aventure.
Elle rapportait au logis
Une collection de contes, de récits,
Mille et mille caquets récoltés au passage,
Doux aliments du commérage.
D'ordinaire tout voyageur
Est un peu conteur
Et menteur ;
Mais une pie au retour d'un voyage,
On peut juger du caquetage !
Je le dis sans exagérer,
Ni les enfants bavards qui sortent de l'école,
Ni les vents renfermés dans les outres d'Éole,
Ne s'y peuvent point comparer.
Notre héroïne était tout à fait propre au rôle,
N'étant pas fille à perdre une parole.
A peine est-elle de retour,
Que, l'œil brillant d'impatience
Et le bec aiguisé par une longue absence,
Elle court aux amis : « Eh ! voisine, bonjour !
Comment va le voisin ? Bien, ah ! j'en suis ravie.
J'ai fait un voyage charmant,
J'ai vu, j'ai dit, j'ai su, j'ai cru perdre la vie ;
Je veux vous raconter, ma chère, l'accident
Bref, la voilà lancée, et Dieu sait jusqu'à quand !
C'était un déluge, un torrent.
Elle ennuya, conta, jasa de telle sorte,
Qu'il fallut la mettre à la porte.
Sans se décourager, Margot passe au voisin ;
Même caquet, même destin.
Enfin pour ressource dernière,
Elle arrive au logis d'une vieille commère
Mobile, rechignée, à l'œil dur, au ton sec,
Très- forte sur la médisance,
Et sachant d'un air d'innocence
Vous déchirer les gens en quelques coups de bec.
« Eh quoi ! c'est vous ? dit-elle. Embrassez-moi, ma chère ;
Que je suis aise de vous voir !
- Ah ! dit Margot, ma bonne mère,
Si vous saviez ! je suis au désespoir !
On me traite de rabâcheuse,
On ne saurait seulement m'écouter :
A quoi sert d'être voyageuse
Si ce n'est pas pour raconter ?
- Hélas ! ma pauvre enfant, c'est de cette manière
Que l'on vit aujourd'hui : tout le monde est si sot !
- S'agit-il de parler, on en fait toujours trop ;
D'écouter, c'est une autre affaire.
Quant à moi, Dieu merci, je n'ai pas ce défaut,
Je sais écouter et me taire.
Ainsi racontez-moi l'histoire tout entière ;
Je ne suis point parleuse et ne soufflerai mot.
Vous saurez donc, reprit Margot,
Que lorsque je partis.... Ah ! je suis toute oreille !
Je rencontrai d'abord.... - Vous contez à merveille !
Je veux jusqu'à demain vous retenir ici.
Dans mon temps je contais passablement aussi ;
J'aimais jusqu'au matin à prolonger la veille :
Mais maintenant ces soins sont vains et superflus,
- Et personne n'écoute plus !
Eh ! que n'écoutez-vous vous- même, radoteuse ?
Interrompit la pauvre voyageuse,
Étouffant de silence autant que de fureur.
Chacun à son tour sur la terre :
Vous avez tant parlé qu'il est temps de vous taire !
Mais vous avez le silence en horreur,
Et tout en critiquant les paroles des autres,
Vous assotez les gens par le fracas des vôtres.
Adieu, gardez tous vos caquets ;
Je me le tiens pour dit et n'oublierai jamais
Que les plus bavards en ce monde
Sont ceux qui se disent muets ! »
Cette parole était profonde ;
Margot l'apprit à ses dépens.
En effet, l'univers abonde
De bavardes et sottes gens ;
Mais plus on l'est au fond, moins on veut le paraître,
Et l'on est, la plupart du temps,
Ce que l'on prétend ne pas être.