L'Avènement du Lion Louis-Philippe de Ségur (1752 - 1830)

C'était deuil aux forêts : Sa Majesté lionne
Avait subi le sort des choses d'ici-bas :
Portefaix et porte-couronne
Sont égaux devant le trépas.
Encor si nous laissions des regrets sur la terre,
Cette nécessité semblerait moins amère :
Mais les regrets, le plus souvent,
Hélas ! ne durent qu'un moment !
Car il est un revers à toutes les médailles,
La fête après les funérailles,
Après le deuil l'avénement !
Bientôt la gaieté se réveille,
Bientôt s'envole le chagrin,
Et déjà l'on peut voir sous les pleurs de la veille
Le sourire du lendemain.
Aussi quand du défunt la dépouille mortelle
Eut été mise en terre avec solennité,
Bien vite on oublia l'ancienne Majesté
Pour songer à fêter la Majesté nouvelle ;
Et lorsque du vieux roi le jeune successeur
Promena dans sa capitale,
L'orgueil de sa face royale,
On applaudit avec fureur.
C'étaient dans la gent animale
Des élans, des transports, des larmes de bonheur,
Un sage, un vieux renard, vivant dans la retraite,
Retiré loin des cours et du bruit importun,
S'était mis aussi de la fête,
Criait, battait des mains, et plus fort que chacun.
« Et vous aussi, lui dit quelqu'un,
Vous partagez cette aveugle allégresse,
Et joignez votre voix à ces cris insensés !
Applaudir sans savoir qui vous applaudissez,
Est-ce donc là votre sagesse ?

- Mon ami, répliqua le Nestor des forêts,
Si je me réjouis, c'est par expérience.
Voulez-vous être heureux ? Faites ce que je fais ;
Soyez heureux de confiance :
Car le bonheur, c'est l'espérance ;
En ce bas monde avant vaut toujours mieux qu'après,
Et vous risquerez fort de n'applaudir jamais,
Si vous n'applaudissez d'avance. »

Livre I, fable 5




Commentaires