L'Éducation du Lion Gottlieb Konrad Pfeffel (1736 - 1809)

L’épouse du Lion finit par mettre au monde,
Un prince, quel plaisir ! partout la joie abonde ;
On sait Dien que les rois sont gardés par leur cour,
Celui pour son appui du peuple avait l'amour.
Quand à peine son fils ouvrit à la lumière,
Son regard plein de feu qu’ombrageait sa paupière ;
Dans un délai très-court il mande son sénat,
Et lui dit d'un air doux, « l'intérêt de l'état,
Veut que mon Benjamin un jour de la couronne,
Soit l’ornement parfait, et que chaque personne,
Voyant son peuple heureux, bénir sa douce loi,
Répète à chaque instant : que n’est-il notre roi.
Il faut nous enquérir de lui trouver un maître ;
Le choix est dissicile, il faudrait bien connaitre ;
Un mentor vertueux, un sujet de talent ;
Voyons, Messieurs, parlez, votre roi vous attend. »
« Sire, » répond le Tigre, « un roi voulant la guerre,
Devient facilement souverain de la terre ;
Toujours est obéi celui qui fait trembler,
Un prince violent est sûr de gouverner.
Adoptez mon avis, donnez la préférence,
Au guerrier généreux connu pour sa vaillance,
Et sitôt que son fils saura vaincre en champs clos,
L'apprentissage est fait, fini sont ses travaux. »
« Très bien, » répliqua l'Ours, « mais, Sire, alors j’espère,
Si vous donnez le prix à l'humeur guerrière,
Que ce soit au sang-froid, au courage éprouvé,
Et si cela vous plait, cet homme est tout trouvé. »
« Pourtant il me paraît, et partout je remarque,
Qu'un peu de politique est pour un grand monarque, »
Répond maitre Renard, « la plus grande vertu ;
D'abord on la suggère à ce Prince ingénu,
Qui sera par la suite un fameux diplomate. »
Et chacun sur ce ton répétant sa cantate.
Cela ne plût au Chien qui murmurait et dit :
« Votre grandeur le sait, ayant assez d’esprit:
Qu’un grand prince connu pour son bon caractère,
Evite tant qu’il peut les malheurs de la guerre ;
Le cœur de ses sujets à ses ordres soumis,
En maintenant ses droits confond ses ennemis.
Pour éduquer ce fils, sur vous qu’ils prennent exemple,
Le meilleur des mentors serait vous, il me semble ;
Adoré de son peuple il fera son chemin. »
Le sénat confondu mordit alors son frein.
« Cher ami quel bonheur d’avair dans mon royaume,
Celui qui sans dédain du pauvre sous le chaume,
Rappelant à son Roi l'amour de ses sujets,
Qui du trône en retour reçoivent les bienfaits.
Très-loin des courtisans, de mon fils sois le maitre,
En suivant tes leçons il saura tout connaitre ; »
Ainsi dit le Sultan ;... « le sage et Benjamin,
Pour aller voyager partaient le lendemain.
Le Mentor aisément au petit fait accroire,
(La couleur de sa robe allant du jaune au noire)
Qu’il était son parent, un pauvre petit Chien,
Et quant à la fortune, il ne possédait rien,
Parcourant les pays, il dit : « vois la misère,
Du peuple malheureux qui courbé vers la terre,
Obligé de gagner ta sueur sur le front ;
Un pain trempé de pleurs pour le dégoût fécond,
Le faible par le fort traité comme un esclave,
Le Lièvre du Renard devenu une épave ;
L'innocente Brebis à la merci du Loup ;
Le Tigre furieux du Cerf cassant le cou.
Ils virent fatigué le Bœuf, qui sans murmure,
En cultivant les champs, reçut pour nourriture,
Un foin déjà gâté, tandis que par les grands,
Le Singe était choyé pour ses mauvais penchants.
« Mon oncle, apprenez-moi, » dit le Prince en colère,
« Le Roi ne connait-il cette grande misère ?
Pourquoi n’arrête-t-il pas l'élan de ces forfaits ? »
« On lui cache avec soin le moindre des méfaits. »
Ainsi le Lionceau grandit dans la sagesse ;
Avec l'âge mûrit sa force et son adresse ;
Ignorant toutefois que du Lion le sang,
Faisait battre son cœur, circulait dans son flanc.
Deux ans avaient sufsi pour le rendre bien sage.
En se voyant au bout de leur pèlerinage,
Ils passaient en causant sur le pré d’un vallon,
Quand un Tigre affamé, soudain comme un ballon
Tomba sur le vieillard. Furieux, en colère,
Le Lionceau le voit, hérisse sa crinière,
Etbrandissant la queue, éventre le brigand:
« Quel bonheur, cher mentor ; ah ! que je suis content ;
Pour préserver ta vie, il fallait un miracle ;
Mais pour être vainqueur, je ne vis nul obstacle ;
L’amitié me donna la force d’un Lion. »
« Tu l’es ; oui, mon cher fils ; j'en demande pardon,
Tu es mon Roi, mon Prince, et je t'en connais digne,
Pour payer tes vertus un trône te fait signe, »
Lui répliqua le Chien rempli d’éducation ;
« Aujourd’hui j'ai cueilli le prix de ma leçon ;
Retournons maintenant : allons trouver ton père.

Le Télemaque épris en l'embrassant le serre
Attendri dans ses bras. Ils suivent leur chemin ;
Arrivés prés du Roi, la parole est au Chien,
Qui dit: « Sire, aujourd’hui de ton bien je m'isole,
Je te rends ton enfant, mais ce qui me console,
C’est qu’en perdant ton fils qui me sauva la vie,
Un père est tout trouvé pour ma chère patrie. »





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