Un chien de célèbre origine,
Bien nourri, bien luisant, gras et de haute mine,
Sur un tapis soyeux mollement étendu,
Semblait, à son air triste, à son regard perdu,
Porter péniblement le fardeau de la vie :
Il grondait, s'agitait, avait l'œil abattu :
Nul mets n'excitait son envie.
Aussitôt grand émoi dans toute la maison :
« Qu'a donc Azor ? se disait- on ;
Lui qui fait toujours table nette,
Lui d'ordinaire si gourmet,
Voilà qu'il détourne la tête
Devant une aile de poulet !
Azor, l'amour des chiens, et qui jamais ne gronde,
Semble en vouloir à tout le monde !
De ce grand changement quelle est donc la raison ?>>>
.... Le pauvre Azor avait une indigestion.

C'est ainsi que se fait l'opinion des hommes ;
Ainsi nous raisonnons, et tous, tant que nous sommes,
Avons-nous le teint frais et le jarret dispos,
L'appétit vient- il à propos,
Les choses sont au mieux, vive la république !
Chacun se faisant en deux mots
Ce raisonnement sans réplique :
« Tout va bien, puisque je vais bien,
Et lorsque j'ai dîné, nul n'a besoin de rien. »
Mais qu'il survienne un mal, un rhume, une colique,
Nous tournons à la philippique ;
Le peuple est une dupe et l'État un vaurien,
Il faut désespérer de la chose publique !

Livre II, fable 5




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