La Conversion du Loup Louis-Philippe de Ségur (1752 - 1830)

Un vieux loup de mauvaise vie,
Connu par ses exploits gloutons,
Un beau jour fut pris de l'envie
D'aimer Dieu désormais en place des moutons.
L'intention était honnête.
Notre loup tout d'abord pensa l'affaire faite,
Et voulut dans le bien jusqu'au cou se jeter.
Un renard que ce loup aimait à fréquenter,
Grand mangeur de poulets, du reste bonne bête,
Vieux diplomate, esprit profond,
Ce qu'on nomme un renard de fond,
Voulut le modérer dans ses transports sublimes !
Pensait- il donc, tout sortant de ses crimes,
Tout frais du sang de ses victimes,
Entrer au ciel et, d'un seul bond,
Passer ermite saint de brigand vagabond ?
Il en dit encor davantage ;
Mais notre loup était plus orgueilleux que sage,
Et voulut être saint à la barbe des gens.
Le voilà donc retiré loin des champs,
Vivant d'eau fraîche et des fruits de la terre,
Les yeux baissés, la mine austère,
N'osant regarder un mouton,
Par repentir.... et par précaution,
Et de ses douze mois faisant un long carême !
<< Arrière les vieux saints ! disait-il en lui-même,
Voyez, du premier coup, je leur dame le pion ! »
Tout alla bien d'abord : mais, hélas ! la raison
Est faible.... chez les loups, et le nôtre, tout blême,
Commençait à trouver du mal à faire bien ;
Sa faim était terrible et sa maigreur extrême,
Et puis, et puis on n'est pas loup pour rien !
Que vous dirai-je ? un jour jetant là son beau zèle,
Il perdit sa vertu par quelques coups de dent,
Et redevint brigand comme devant.

Mais la morale, quelle est-elle ?
De quelque mal profond voulez-vous vous guérir ?
Laissez tout doucement se fermer la blessure,
Et soyez toujours humble en votre repentir.
Garder en tout une mesure,
C'est le secret de réussir.

Livre II, fable 8




Commentaires