Le Rat des villes et celui des champs Nivet Desbrières (18ème siècle)

Autrefois le Rat de Ville
Écrivit au Rat des Champs
Une lettre fort civile ;
Mais en style du vieux temps.
C'était pour l'inviter, au rapport de la Fable,
A venir partager les plaisirs de sa table:
Le Campagnard au reçu du billet,
Laisse aussitôt son lard et son millet,
Et se rend à l'hôtel où son riche confrère,
Lui préparait, dit-on, une splendide chère ;
Outre quantité de bombons
Servis avec magnificence,
Figurez-vous le meilleur des jambons
Qui fut jamais apporté de Mayence,
Deux fromages exquis de Parme ou de Plaisance,
Un gros pâté de Beauce et quatre saucissons,
Qu'on avait récemment fait venir de Bologne.
Comme nos deux amis, sans faire de façons,
Se disposaient gaiement à se mettre en besogne,
Entrent des Valets turbulents,
Puis des Chiens et des Chats aboyant, miaulant,
Font un concert diabolique.
En entendant cette musique
Le Rat de Ville est déjà dans son trou,
Saisi d'une terreur panique,
Celui des Champs s'enfuit je ne fais où ;
A ce tumulte enfin succède le silence,
Et quand chacun fut retiré,
Le Citadin bien rassuré,
Qui ne songeait qu'à la bombance,
Aux mets raccourut à grands pas,
Et d'une voix assez altière,
Ami, dit-il, à son confrère,
Que ces gens ne t'occupent pas ;
Ce n'est là qu'un bruit ordinaire,
Continuons notre repas,
Je ne vois rien de mieux à faire ;
Non, non, et sans perdre de temps,
Dès ce soir je retourne aux Champs,
Lui répond le rustique ; ô séjour plein de charmes,
Faut-il, hélas ! t'avair quitté,
Pour venir essuyer de terribles alarmes
Dans cette bruyante Cité.
Mon cher, ajouta-t-il, viens me voir au Village,
Je ne fais point de compliment,
Si je ne puis t'offrir qu'un morceau de fromage,
Ou quelque grossier aliment,
Au moins dans mon petit ménage,
Nous mangerons paisiblement.
A ces mots il partit et je ferais ferment
Qu'il ne revint davantage.

Malheur aux gens qui se laissent tenter
Par les plaisirs que Paris nous annonce,'
Puisqu'en repos on ne peut les goûter,
Le fou s'y livre et le sage y renonce.

Fables nouvelles, fable 20




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