Les Grenouilles et leurs Rois. Nivet Desbrières (18ème siècle)

Au temps jadis la République
Des Grenouilles, gent aquatique,
Par inconstance ou vanité,
Se mit en tête
De présenter une requête
Au Seigneur Jupiter, priant sa Majesté
De leur donner un Roi. Jupin fit un sourire,
Et pour leur procurer un pacifique Empire, '
Par lui, dans le marais, un' poteau fut jette,
Un poteau dont l'éclaboussure
Les fit trembler et se cacher '
Au fond de leur retraite obscure ;
Aucune fort longtemps n'osa même approcher ;
Mais gardant un profond silence,
Osant à peine respirer,
Elles attendaient là, non sans impatience,
Ce que le nouveau Roi leur voudrait déclarer,
Enfin une des plus gaillardes,
Et, dit-on, des plus babillardes,
Leur dit : mes chères sœurs, point de timidité,
Jupin, si rempli d'équité,
Nous a donné sans doute un Souverain aimable ;
Faisons-lui notre cour avec civilité,
C'est moi qui vous répond d'un accueil favorable ;
A l'instant même elle nage à fleur d'eau,
Les autres suivent son exemple,
Font un cercle autour du poteau,
Et là chacune à l'envi le contemple.
Ce fut bientôt de le railler,
Puis de lui faire la grimace,
Puis s'animant en leur audace,
L'une commence à criailler,
L'autre le pousse, une troisième
Ose sur lui monter et sautiller ;
Toute la bande fait de même ;
Enfin lasses de le berner,
Jupin, dit la Troupe insolente,
Reprenez au plutôt cette bûche indolente,
Et donnez-nous un Roi qui sache gouverner,
Le poteau disparait et bientôt à sa place,
Vient régner une Grue affamée et vorace,
Qui débute par déjeuner,
En croque cinq ou six et combien à dîner !
« Ah quel glouton insatiable 1
Ah quel tyran impitoyable !
S'écria-t-on d'une commune voix :
Jupin, soyez-nous secourable,
Exterminez le plus méchant des Rois ;
Le premier était doux, dit Jupin en colère,
Et l'on n'a fait que l'insulter,
Le second à présent vous parait trop sévère,
A qui croyez-vous en conter ?
Vous avez désiré le pouvair Monarchique :
Eh bien, il faut patienter,
Et s'il vous plait point de réplique,

Êtes-vous assez bien ? Sachez vous y tenir,
C'est tout où j'en voulais venir.

Fables nouvelles, fable 19




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