Le Serin et le Chardonnet Joseph Poisle-Desgranges (1823 - 1879)

Un jeune canari s'ennuyait dans sa cage ;
— Vivre seul, disait-il, au sein de l'esclavage ;
Vivre seul, ô douleur !
N'avoir pas un ami pour épancher son cœur.
S'endormir sans témoin, se réveiller de même,
Et bannir de son chant le mot qui dit : Je t'aime !
N'est-ce pas.mourir de langueur ?
Si j'avais seulement un compagnon d'enfance,
Il m'égarait par sa présence
Et j'aurais du plaisir à moduler dés airs.
L'écho répéterait nos gracieux concerts ;
Tout serait en commun dans lé lieu que j'habite ;
Puis l'appétit renaît quand l'amitié l'excite
Dans le moment moment soupirait
En déplorant son existence,
Une main délicate aussitôt apparaît
El laisse à découvert un beau chardonneret
Qui, près du prisonnier, dans la cage s'élance.
Le serin, stupéfaits l'examine en silence, -
El l'on s'attend qu'il va voler vers l'inconnu.
Point du tout ; il s'éloigne et semble retenu
A son grillage ;
S'il est contrit, boufsi d'orgueil
C'est qu'il a vu d'un mauvais oeil.
Que du chardonneret plus vif est le plumage.
Ce motif le rend effaré ;
Il craint que son rival ne soit le préféré,
Et chaque pas qu'il fait irrite sa prunelle.
S'il mange, il le poursuit.
S'il chante, il le fait taire en redoublant de bruit.
Enfin, il lui cherche querelle ;
Son bec s'entr'ouvre, il traîné l'aile ;
De son étroit gosier sort des cris de terreur.
On croirait qu'il s'essaye à peindre la fureur
Que ressent bien souvent un frère contre un frère,
Que l'intérêt rend inégaux,
Lorsqu'il s'agit d'avoir quelque quartier dé "'terre
Ou la maison de leur vieux père.
Mais retournons à mes oiseaux
Qui sont restés sous les mêmes barreaux.
On prit le parti salutaire
De remettre à part l'un des deux.

Pour son propre bonheur on se cherche en tous lieux.
On se voit ; mais le monde, hélas ! no s'aime guère, ;,
Tant qu'il existera des jaloux sous les cieux,:
On entendra des cris de guerre.

Livre II, fable 9




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