Le Brochet et la Perche Eugénie et Laure Fiot (19ème siècle)

Un brochet pesant dix kilos,
Venu des eaux de la Tamise,
Sans passe-port et sans valise,
S'était logé près des îlots
Qu'on aime à voir du pont d'Asnières.
Fait pour l'île des Ravageurs,
Il promène autour ses fureurs.
Le brochet est loup des rivières ;
La perche en est le hérisson ;
Elle fourmille en ce canton ;
Sa chair est fine et succulente,
Et l'on sait combien elle tente
L'implacable tyran des eaux.
Mais la nature y mit bon ordre ;
De la perche elle arma le dos
De piquants tels qu'il n'y peut mordre.
C'est donc diplomatiquement,
A savoir par ruse et surprise,
A l'aide du raisonnement,
Que la perche peut être prise.
Aussi, notre rusé brochet
Veut la prendre à ce trébuchet.
Accostant la plus forte perche :
« Belle, dit-il, je vous recherche
Pour vous témoigner mes égards ;
Vous êtes, à tous les regards,
De ces îlots la souveraine ;
Et c'est avec beaucoup de peine
Que, parmi nous, je ne vois pas
Ce doux concert sans apparats
Qui, pour le cœur, a tant de charmes.
Vous êtes toujours sous les armes !!!
Vivons franchement en amis,
Désarmez, et soyons unis ;
Et, pour fonder notre alliance,
Basons-nous sur la confiance. »
La perche dit: « Je le veux bien,
Votre désir répond au mien ;
J'aime la paix par caractère,
Et, pour le bonheur de la terre,
Commencez par casser vos dents,
Et je brise après mes piquants. »

Fables nouvelles, Livre I, Fable 7, 1851




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