Un immense domaine allait en décadence :
De tous maux on l’eût dit atteint en même temps ;
Chaque jour on voyait croître sa défaillance,
On s’attristait surpris, et parcourant ses champs.
Nulle part une herbe abondante ;
Pas la moindre pousse opulente ;
On n’y voit plus la fleur au calice odorant,
Rayonnant comme une auréole
Son étincelante corolle ;
El les beaux fruits vernis au contour élégant,
N’appellent plus la main ou le regard friand.
Mais la mousse est partout : sur les prés, sur les arbres
Haletants et transis, glacés comme des marbres ;
Et seule, elle se reproduit,
S’étend, prospère et s’applaudit :
« Voyez combien je suis soyeuse, »
Dit-elle, aux laboureurs, « et douce et moelleuse,
« Quel calme autour de moi ! cessez vos durs travaux
« Et sur mes tapis verts, savourez le repos. »
Que dis-tu ? reprit en colère,
Un sage laboureur : cesse de te complaire
En de si beaux discours, en conseils indiscrets,
La terre s’allanguit sous tes tapis épais ;
Ton action est délétère,
Tout dépérit et meurt sous ton oppression
Chassant l’air, la chaleur, la végétation.
Ne t’étends plus partout comme un horrible ulcère,
La plante à peine vît du côté de la terre,
Et ne respire plus par le côté du ciel ;
Les arbres atteints d’éthisie
Ou frappés de paralysie,
S’en vont d’essoufflement ; l’air leur semble mortel.
Pour régénérer ces domaines,
Il faut le fer bien affûté,
Le fer pour pénétrer aux veines
D’une riche fécondité.
Il faut le soc de la charrue,
Par lui tu peux être vaincue !…
Courage donc, amis, que ce sol soit levé,
À la charrue ! allez : votre sol est sauvé !
L’homme tombe bientôt quand l’aine est énervée :
Jeunes amis, fuyez, fuyez, la volupté,
Et que votre âme, au feu du travail éprouvée,
Ne laisse jamais choir sa noble volonté
Sous la mousse douce et soyeuse
De la mollesse et des plaisirs ;
Sous la mousse tendre et moelleuse
De l’ignorance sans désirs.