Ce que peut la douceur Camille Viala (19è siècle)

Deux sœurs d'âge pareil, mais d'humeur différente,
Disposaient à leur gré d'un splendide jardin.
Luce, d'étrange humeur, bizarre, intolérante,
Aux soins du jardinage était indifférente,
Et sur tout distillait de son esprit chagrin
Le fiel empoisonné. - Bienveillante et rieuse,
Emma, caractère charmant,
Courait aux fleurs, en folâtrant :
Elle leur souriait, joyeuse,
Leur trouvait un charme parfait.
Là, voyez comme elle est heureuse
De céder à leur doux attrait.
Comme elle regarde, coquette,
Leurs beautés ; comme elle les guette ;
Avec quelle dévolution
Elle cueille, trie et dispose,
Pleine de soin, d'attention,
Fleur brune, blonde, blanche ou rose.
Mais survient tout à coup sa sœur :
- Comment, dit celle-ci, comment, votre main ose
Faucher la fleur à peine éclose,
De ce jardin le seul honneur ?
C'en est trop ; Atropos nouvelle,
Vous me représentez la parque trop cruelle,
Dans le champ des humains moissonnant la beauté,
Dont tout regard est enchanté.
- De ces fleurs j'aime la parure
Sur ma soyeuse chevelure,
Que votre amitié, chère sœur,
Me juge avec moins de rigueur.
- C'est par trop de coquetterie,
Reprit Luce, à l'âme assombrie,
Un peu plus de simplicité
Convient beaucoup mieux à votre âge.
- C'est vrai, sœur, vous parlez en sage ;
Je regrette ma vanité :
De ces belles fleurs que j'adore,
Je ne veux plus former qu'un bouquet gracieux,
Dont le parfum aimé de Flore,
Viendra, durant le jour, frais et délicieux,
Charmer de mon boudoir l'enceinte retirée.
- Vous êtes admirable, et vraiment inspirée,
Et ne savez-vous pas, répartit Luce en courroux,
Que de toutes vos fleurs les arômes si doux
Ne sont que des poisons ? - Alors c'est à leur tige
Qu'il faudra les laisser. - Oui vraiment et demain ?
Adieu leur ravissant prestige
Adieu leur arôme divin :
Oui ! oui ! chaque fleur inclinée,
Sur sa tige déjà fanée,
Blessera votre œil attristé,
Et n'exhalera plus qu'un parfum empesté.
- Mais que faire alors, sœur aimée ?
J'y suis... de mon désir je vous verrai charmée !
Partageons ce bouquet, il aura plus d'attrait.
Entre nous partagé, - Non, car il me déplaît,
Et je me déplais à moi-même :
Je fuis et déteste qui m'aime...
E Luce s'enfuit en pleurant.
D'un retour vers le bien les larmes sont un gage ;
De son esprit chagrin, maussade, intolérant,
Luce en elle sentait le cruel esclavage.
La touchante bonté d'Emma,
Toujours vive et persévérante,
Pour sa sœur toujours renaissante,
De meilleurs sentiments à la fin l'anima.

Aux esprits noirs, chagrins, d'humeur bizarre, étrange,
Retenez, prosesseurs, et vous surtout, parents
Qu'il faut des soins constants, de grands ménagements,
Une active douceur et la bonté d'un ange.

Livre I




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