Les Oiseaux ambitieux Louis-Philippe de Ségur (1752 - 1830)

Certains oiseaux au gris plumage,
De ces oiseaux sans nom qui peuplent les forêts,
Trouvaient sous un épais feuillage
Le vivre et le couvert, et l'ombrage et la paix :
Joignez-y l'amour d'une mère,
Le plus doux des présents que le Ciel nous ait faits !
S'ils n'étaient pas heureux, qui le sera jamais ?
Mais depuis que la terre est terre
Et que les hommes sont des fous,
Notre plus grand travers à tous
Et notre éternelle misère,
C'est ce démon du changement,
Qui nous pousse sans cesse à sortir du présent,
Pour nous élancer dans les chances
D'un avenir obscur que notre esprit flottant
Peuple de folles espérances !
Nos oiseaux, ennuyés de leur humble séjour
Et lassés du bonheur par la monotonie,
Imitèrent un jour notre humaine folie
Et quittèrent leur nid, leur mère et son amour.
Il fallait l'air et le grand jour
À des gens d'un si haut mérite !
Deux mois n'étaient pas écoulés,
Que, plumés, battus, harcelés,
Ils regrettaient déjà leur gîte ;
Et, devant que l'année eût achevé son cours,
Ils avaient tous péri sous le bec des vautours !
Hélas ! telle est la triste histoire
De bien des œuvres ici- bas,
Grosses d'un avenir qu'elles n'enfantent pas !
Un jeune homme, épris de la gloire,
Met au monde un écrit qu'il admire en son cœur :
Aspirant au doux nom d'auteur
Et tout palpitant d'espérance,
Il imprime son œuvre, il se livre au lecteur ;
Et sous la raillerie ou sous l'indifférence
Tombent en un moment ses rêves de bonheur !
Que dis-je ? Et n'est-ce pas vers cette mort cruelle
Que vous vous envolez, ô mes pauvres enfants,
Éclos tout récemment de ma jeune cervelle ?
O mes vers premiers-nés, humbles fleurs du printemps,
Ne vous en allez pas, il en est encor temps !
La foule est sans pitié : trouverez-vous chez elle
Ce qu'on trouve au logis, l'indulgence et l'amour ?
Mais non : je sens frémir votre aile ;
Vous voulez fuir la paix d'un tranquille séjour.
Partez donc, ô troupe rebelle,
Et puissiez-vous ne pas vous repentir un jour
D'avoir abandonné la maison paternelle !

Livre I, fable 1




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