Sire lion étant passé
Des soucis du pouvair et des troubles du monde
Au séjour de la nuit profonde,
Quand on l'eut dans la tombe et dans l'oubli placé,
Les animaux, convoqués à la ronde,
Cherchaient un successeur au vieux roi trépassé.
Hors un époux, rien n'est peut-être
Plus embarrassant qu'un tel choix,
Et l'on y regarde à deux fois
Quand il s'agit de se donner un maître.
D'abord on ne voulait plus voir
Au pouvair
Ni tigres, ni lions, ni gens de cette espèce,
Qui, montant sur le trône avec grifses et dents,
N'ont nul souci des lois et règnent en brigands.
Il fallait quelque roi d'une honnête faiblesse,
Un soliveau, réalisant
Le problème nouveau d'un pouvair impuissant,
Un être indéfini, mixte et contradictoire,
Enfin quelque chose de tel
Qu'un roi constitutionnel :
Ces pauvres animaux avaient lu notre histoire !
Mais où trouver ce roi si complaisant ?
Car encor voulait- on qu'il eût quelque mérite.
L'un était trop petit, l'autre semblait trop grand ;
Le singe était trop laid, et le bœuf trop pesant ;
Le perroquet parlait trop vite,
D'autres parlaient trop lentement.
Enfin quelqu'un s'apercevant
Qu'ils raisonnaient tous, Dieu sait comme,
Et que chaque animal à peine présenté
Était mis de côté,
Souffla tout bas le nom de l'homme ;
On poussa mille cris à ce nom détesté.
Eh quoi ! donner la royauté
A cet être méchant, à l'âme avide et dure,
Qui sous ses orgueilleuses lois,
Prétend asservir la nature,
À cet ingrat, plus ingrat mille fois
Que le serpent qui rampe dans les bois,
Et dont il fait à tort le symbole des vices !
Car est- il un seul animal
Qu'il ne maltraite point pour prix de ses services ?
« Je l'ai porté, dit le cheval,
De mes longues sueurs j'ai fécondé sa terre,
Et maintenant qu'infirme, accablé de misère,
Je languis sous le poids des jours,
Il m'oublie, et me laisse expirer sans secours ! »
La vache vint et dit : « Je remplaçai sa mère,
Pour lui donner mon lait j'en privai mes enfants,
Et quand l'âge a rendu ma mamelle stérile,
Il fera déchirer sa nourrice inutile,
Pour se nourrir encor de mes membres sanglants,
Et son chien près de lui broîra mes ossements !
C'est là l'unique prix que reçoive ma peine.
Et moi, dit la brebis, captive en ses liens,
J'obéis à sa voix, j'obéis à ses chiens,
Pour vêtir ses enfants je lui donne ma laine,
Et l'ingrat dévore les miens !
Ah ! quel autre animal eût commis un tel crime ?... »
Et la brebis pleurait ; et quand chaque victime
Eut conté tour à tour sa misère et ses maux,
L'homme fut reconnu d'une voix unanime
Le plus méchant des animaux.
Alors, désespérant de l'État monarchique,
Le peuple des forêts se mit en République.
Prenaient- ils le meilleur moyen
De se débarrasser d'un pouvair despotique ?
L'histoire n'en dit mot et l'histoire fait bien.
C'eût été de la politique
Et la meilleure ne vaut rien.
Mais qu'ils se soient rendus heureux ou misérables,
Ce n'est pas là le point ; j'ai voulu seulement
Montrer ici que l'homme, être ingrat et méchant,
Peut recevoir des leçons profitables
Des animaux qu'il traite impitoyablement ;
Et c'est l'origine des fables.