Au temps que l’ardent moissonneur,
La faucille à la main, jette le bled par terre,
La Fourmi prévoyante et bonne ménagère
Dit à la Cigale : Ma sœur,
Imitons la gent raisonnable ;
Faisons aussi notre moisson.
L’hiver vient à grands pas : pour ce temps misérable
Remplissons nos greniers dans la belle saison.
Demain, répondit la chanteuse,
Demain, car je suis aujourd’hui
En humeur de chanter pour charmer mon ennui.
Le lendemain, la troupe moissonneuse
Craignant pour sa moisson, parla de la serrer.
Allons, dit la Fourmi, travaillons, le temps presse.
Demain. Le temps se perd. Demain par mon adresse
Je saurai bien le réparer.
Mais ce demain, qui peut t’en assurer ?
Laisse moi chanter à mon aise ;
Pendant un si beau jour, veux-tu que je me taise ?
La Cigale chanta, puis elle s’endormit.
Mais voilà que pendant la nuit
Le moissonneur met tout en grange.
L’hiver vint. Le beau temps s’enfuit ;
Plus de moisson, plus de vendange ;
Et pour avoir toujours remis au lendemain,
La Cigale mourut de faim.
Voilà votre portrait, jeunesse trop volage !
Quand on vous dit : fuyez un repos libertin ;
Travaillez à vous rendre sage.
Demain, répondez-vous ; demain, toujours demain ;
De la Cigale imitant le langage ;
Craignez un jour d’en avoir le destin.