La Taupe et le Lézard Stop (1825 - 1899)

Une Taupe, sortant de terre,
Aperçut, en clignant des yeux,
Un Lézard qui semblait parfaitement heureux
De se chauffer au soleil sans rien faire.
« Regardez-le donc, sur son mur,
Cria-t-elle aigrement, se roulant dans sa graisse !
Tandis que je poursuis sans cesse
Dans mes noirs souterrains le labeur le plus dur,
Lorsque, mineur infatigable)
Je dois percer, sous la terre et le sable,
Des chemins que jamais n'éclairera le jour,
Quand, dans cet humide séjour,
Il me faut craindre encor la bêche menaçante
Du jardinier, ou par sa main méchante
Le piège ouvert devant mes pas,
Celui-là, mollement étendu sur sa pierre,
N'a d'autre souci que de faire
Doucement ses quatre repas !
Et voilà cet oisif, ce rentier, qui s'engraisse
Pendant que, suant sang et eau,
Le peuple porte le fardeau
Rendu plus lourd par sa paresse !
Un dernier mot vous peindra sa bassesse :
Notre plus mortel ennemi)
L'Homme, l'appelle — son ami ! »

A cette apostrophe sévère
Le Lézard tourna vers la terre
Son petit œil rempli de malice et d'esprit :
« Mon Dieu ! qu'est-ce qui vous a pris,
Répondit-il, ma chère Demoiselle ?
Pour moi vous êtes bien cruelle !
Vous semblez, si j'ai bien compris,
Considérer avec envie
Ma paisible et modeste vie ;
Eh bien, venez la partager !
Nous trouverons à vous loger
Sous l'humble toit que m'a légué mon père ;
Je vous présenterai mes enfants et leur mère,
Et nous irons, chacun à notre tour,
Chasser pour les besoins du jour.
Allons, montez céans ! — Vous me la baillez belle »,
Lui répliqua la péronnelle ;
« Nenni, nenni, je ne sais pas grimper ;
Là-haut je pourrais attraper
Quelque coup de soleil sur ma pauvre cervelle ;
Et puis je paraîtrais trop laide auprès de vous,
Mon beau Monsieur ! — Ma foi, pour parler entre nous,
Dit le Lézard, je crois, ma mie,
Que vous avez très-fort raison :
Rien n'enlaidit comme l'envie. »

Fable 50




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