Je ne sais trop pour quel projet,
Soit rendez-vous d'affaire ou rendez-vous de belle,
Un beau Cavalier s’apprêtait
A mettre ses grègues en selle .
Il chaussait déjà l’étrier
Et le Coursier, qui hennit et trépigne,
Pour emporter le Cavalier,
Ne semblait attendre qu'un signe,
Lorsqu’au noble animal s’attaque un Moucheron.
Enorgueilli d'avoir naguère
Triomphé même d'un lion,
L'insecte, en déclarant la guerre,
Se flattait du Coursier d'avoir même raison.
Son attente fut couronnée,
Tant il est vrai que même avec faible ennemi
Il faut souvent compter diable et demi.
A peine la charge est sonnée,
Le Cheval irrité se cabre et rompt son frein ;
De fureur ses crins se hérissent;
Il s’ébroue, il écume, il bondit, mais en vain !
En vain tous ses membres frémissent ;
Le Moucheron se rit de tant d’efforts
Qu’accompagne tant d’impuissance
Et, l'attaquant à toute outrance,
En irrite encor les transports.
Réduit a fuir pour se soustraire
A l'insaisissable adversaire,
Soufflant le sang par les naseaux,
D'une course désordonnée
Le Palefroi s'élance et par monts et par vaux.
Adieu tous rendez-vous! dans sa fuite effrénée,
Quelqu'il soit, avec lui tout rêve est emporté!
Le Cavalier déconcerté
De loin, à pleins poumons, jette au fuyard l'injure ;
Il peste, il jure,
Et, gonflé de courroux, ne peut pour tout déduit
Qu’en maudire l'essor rapide.
Pour rompre nos projets un Moucheron suffit
Et l'on ne monte pas tout Cheval que l'on bride.
Hydra, 14 Décembre 1853.