Un prince eut le désir d'interroger les fous
Que retenaient captifs les prisons de Bicêtre
Et leur dit : Je voudrais connaître
Le plus lucide d'entre vous ;
S'il parle sans effervescence,
Je lui promets l'indépendance.
— C'est moi ! crié aussitôt un jeune échevelé,
Qui semblait soucieux dans un coin isolé,
D'un poète, ô grand roi ! daignez savoir l'histoire ;
J'ai dit la vérité, nul n'a voulu la croire, -
Et pour prix de mes vers/de veilles, de travaux,
Le ministre d'alors, écoutant mes rivaux,
Me fit incarcérer sans lire le volume
Dans lequel j'ai prouvé que le serpent Python
A péri sous mes traits, car je suis Apollon...
— Sire, vous le voyez, son orgueil le consume,
Reprit un paisible vieillard ;.
Il mérite son sort et doit vivre à l'écart ;
Trop d'efforts de génie ont pour but la démence,
Et seul j'ai quelques droits à votre bienveillance.
— J'approuve, dit le roi, la modération,
Et tu viens de parler avec réflexion,
J'ai hâte de savoir la cause de tes peines.
— Hélas ! de sacs d'écus j'avais mes caves pleines,
El de nombreux trésors j'étais l'heureux gardien,
Lorsqu'un âpre neveu, pour jouir de mon bien,
Sut me faire interdire en reniant, l'infâme,
Que moi je suis Plutus et mon argent mon âme.
— Lui, Plutus ! C'est un fou, prince, il est tout jugé,
Interrompit alors Un quidam moins âgé;
Et, si j'aimais à nuire aux gens de son espèce, »
Je l'aurais confondu/ câr.je suis Jupiter.
— Très bien, messieurs, très bien, au revoir, je vous laisse ;
J'ai visité l'Olympe et j'entrevois l'Enfer.,
Vous possédez tous la sagesse,
Et, puisque vous êtes des dieux
Tâchez sans mon secours de sortir de ces lieux.

Notre cercle présente un pareil assemblage,
Chacun rit dit voisin et se croit le seul sage.

Livre II, fable 7




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