La Cigale et les autres Jean-Baptiste Voinet (1976 - ?)

Madame la Fourmi, dans la fable initiale,
Celle qu’on vous chanta en une autre occasion,
Apprit à sa consœur, Madame la Cigale,
À travailler ; ce fut toute sa conclusion.
Au milieu de l’hiver, sans pouvoir rien y faire,
Sans le moindre morceau de maïs à mâcher,
Les mains vides, craignant un dur et long calvaire,
La musicienne dut se remettre à marcher.

Après plus de cent pieds, plus de quarante mètres,
La Cigale arriva en pays inconnu,
Un tout autre quartier, moins peuplé, plus champêtre,
Où l’insecte espérait être le bienvenu.
Elle croisa d’abord Madame Coccinelle
Moins riche que Fourmi mais pas pauvre non plus,
Qui lui dit : « J’aimerais vous aider, demoiselle,
Mais partager mon pain, c’est tout à fait exclu ! »

Voyant de la lumière en la maison voisine,
Sans se décourager, la Cigale frappa :
Madame Luciole, assise en sa cuisine,
Eteignit sa veilleuse et ne clignota pas…
Son voisin Faux Bourdon aussi passa la tête
En travers de la porte et sans franche opinion,
En insecte sérieux, en bestiole honnête,
Retourna près du feu pour peler ses oignons.

Troublé dans son sommeil, Monsieur le Gendarme,
Toujours prêt à servir, toujours bon citoyen,
Se prit à rechercher la source du vacarme,
Soupçonnant derechef quelque gros acarien.
Il croisa sur ses pas la Mante Religieuse,
Qui chantait un couplet vantant la charité,
Mais qui rentra bien vite en voyant cette gueuse
Poussée assurément par la cupidité.

Tout au bout du chemin, ah… une bergerie
Ouvrit sa porte enfin. Et, la laissa venir,
Une dame Cigale âgée et bien nourrie,
Qui avait su aussi du froid se prémunir.
La jeune demanda, alors, d’un ton critique :
« Auriez-vous copié Fourmi pour subsister ?
Avez-vous renoncé, madame, à la musique ? »
L’autre s’assit et dit, pleine d’humilité :

« Je me rends dans les champs et je nourris des bêtes,
Je prends bien du plaisir, l’été, à la moisson,
Pourtant, vois-tu, ma sœur, je suis aussi poète,
Entre et nous chanterons, ensemble, une chanson.
Comme d’autres aussi, jeunes et empressées,
J’ai souffert de la faim et j’ai souffert du froid,
Mais j’ai appris, aussi, de mes erreurs passées,
Grâce à qui les avait endurées autrefois. »

Janvier 2023


Aucune inspiration extérieure, si ce n'est La cigale et la fourmi à laquelle cette fable propose une suite. La cigale se voit elle-même, à la fin de la vie, après avoir longtemps cheminé.

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