Le Nakoula Fables chinoises

Le Bouddha racontait aux moines rassemblés :
Il était une fois, en des temps reculés,
Un pauvre mendiant sans enfants, un brahmane ;
Il avait pour avoir : sa femme et sa cabane ;
Ajoutez à cela
Qu'un joli nakoula
Plus heureux que son maître,
Dans sa hutte fit naître
Un petit
Qu'on lotit
D'une part de tout bien dont vivait le ménage.
On le traitait en fils ; pour qu'aucun témoignage
De l'amour paternel ne lui manquât jamais,
On lui donnait du lait, du beurre, de la viande,
Des gâteaux et de tous les mets
Qu'en mendiant son maître obtenait en offrande.
Plus tard la femme eut un enfant
Elle dit, le cœur triomphant,
Pour exprimer sa joie intense,
Cette simple et naïve stance :
« C'est le petit du nakoula
Qui m'a valu ce bonheur-là. »
Un jour, pour sa progéniture,
L'homme allant mendier pâture,
Dit à sa femme : « Ayez grand soin,
Si vous allez dehors — que ce soit près ou loin —
D'emmener notre fils. » L'enfant mangeait du beurre.
Sa mère lui cria : « Je suis à toi sur l'heure
Je vais chez ma voisine et reviendrai grand train :
J'ai besoin d'un pilon pour écraser du grain. »
Or le parfum du beurre
Dans la pauvre demeure
Fit venir un serpent
Le reptile rampant
Traversa la cabane,
Et le fils du brahmane
Courut un grand danger.
Qui sut le protéger
Contre la gueule ouverte
Et conjurer sa perte ?
Le nakoula, voyant le serpent, fit trois sauts,
Et, le mordant six fois, le mit en sept morceaux :
« Ô mon frère — dit-il — je t'ai sauvé la vie ;
Que notre bonne mère en sera donc ravie ! »
Pour qu'elle pressentît de loin ses beaux exploits,
Il barbouilla de sang sa gueule par trois fois.
Justement le brahmane, ayant rempli sa bourse,
Rencontra son épouse elle hâtait sa course ;
Il allait demander : — Vous n'étiez donc pas là ?... —
Quand il vit sur le seuil le sanglant nakoula :
— Le monstre, cria-t-il, — vient de tuer son frère —
Alors, sans réfléchir, cédant à la colère,
Sur ce cher bienfaiteur, terrible, il se rua
Et le tua.
Puis il franchit la porte et vit le petit être
Jouant, suçant ses doigts
et, près de la fenêtre,
Gisaient les sept tronçons du perfide serpent.
Il souffrit ce que souffre un cœur qui se repent,
Disant : — Tu dois la vie au nakoula ton frère,
Et moi je l'ai tué ! — Sa douleur fut sincère ;
En prononçant ces mots, il tomba sur le sol.
Alors, au sein du ciel, on entendit un vol ;
Un deva prononçait la gâtha que je cite :
« L'homme est toujours puni qui trop se précipite ;
« Ne te hâte jamais de juger — tout est là ! —
« Pour n'être point nommé « tueur de nakoula ».

Fables chinoises du IIIe au VIIIe siècle de notre ère, traduites et versifiées par Édouard Chavannes.


Un Nakoula est une mangouste.

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