Le Paysan et le Pourceau Antoine Carteret (1813 - 1889)

En un gros bourg, sur le lieu de la foire ,
Lourd parapluie en main, couvert de son sarrau ,
Un campagnard offrait aux chalands, un pourceau
Dont il avait lustré la robe noire.
« Voyez, » leur disait-il, « le superbe animal !
Comme il est fort, robuste et taillé pour la graisse !
Il s'arrondit sans frais , mange tout, rien ne laisse ;
Il est propre , amusant, gentil , jamais brutal .
En lui déjà not' ménagère
Voyait pour son plafond un fameux ornement !
Hier elle a pleuré. C'était tout l'agrément
De mes quatre bambins. Ah! chienne de misère ! »
Malgré ce beau discours maintes fois répété
Son cochon lui resta. Devant une bouteille
Il alla consoler son esprit attristé .
La suite d'une vente aurait été pareille.
Pendant qu'il se grisait, le pourceau retenu
Par la jambe, à la même place ,
Se mirait comme en une glace ,
Dans l'éloge pompeux qu'il avait entendu .
L'affaire du plafond , quoique pour lui peu claire,
Paraissait surtout le toucher.
A la nuit close, après un dernier verre,
Le paysan vint le chercher .
La bête ouvrant la marche, ils se mirent en route .
Notre homme avait, non sans raison ,
Sur la ligne droite du doute ;
Le pourceau nullement, si bien que le cordon
Qui les liait tous deux corrigeait maint feston .
L'arrière- train sentant qu'il n'allait pas très -vite ,
Se crut avec candeur, par l'avant ralenti .
La franchise, on le sait, au fond des brocs habite :
« Allons ! dit l'homme soûl, allons donc mal bâti,
Gueulard, roi des goulus, chenilles/strong> !
Tiens , tâte un peu de cette étrille. »
Et le gros parapluie au hasard, mais fort dru,
S'ébattait sur le porc. L'animal ingénu,
Aux propos de la matinée
Comparait ces gros mots et ce dur traitement.
Il s'étonnait qu'on pût, dans la même journée,
S'exprimer si différemment.
On voyait bien qu'on n'a dans cette simple race ,
Jamais de servante loquace
Dont on soit désireux d'autrui gratifier ;
Jamais de grand garçon à pourvoir d'une place ;
Jamais , je le dis bas , de fille à marier.