« Que je suis malheureux ! disait le rat des champs.
Il me faut des pourceaux partager la pâture,
Et je n’ai pour nourriture
Que des vers ou des glands.
Dans ma triste solitude,
Je suis rongé d’inquiétude.
J'ai bien la liberté;
Mais à quoi bon sans la sécurité !
Quand les chiens sont en quête,
Ils laissent le gibier pour fouiller chaque trou ;
S'ils attrapent un rat, c’est pour eux une fête
De lui serrer le cou.
Si je sors, le milan me déclare la guerre,
Et le hibou, la nuit, me fait rester sous terre.
Je n’y tiens plus... il faut ailleurs
Chercher des destins meilleurs,
Le sort en est jeté; mettons-nous en campagne ;
J’aborderai peut-être au pays de Cocagne. »
Il dit, et plantant 1a ses lares ébahis
De sa brusque incartade,
Le voila qui se met a courir le pays,
Sans bagage et sans camarade,
Comme fait un pèlerin,
Le bourdon au côté, le bâton blanc en main.
La fortune lui fut propice.
Parvenu, sur le soir,
Au pied des murs d’un rustique manoir,
Hl grimpe avec adresse, et bientôt il se glisse
Jusque dans un grenier,
Où la femme du fermier
Avait serré, pour y prendre à toute heure,
Ses fromages, ses œufs, son lard, ses pots de beurre,
Comme aussi ses jambons ; jambons de carnaval,
Qu’on tenait la faute d’autre local.
Le fermier ne sut pas quel ennemi vorace
Venait de pénétrer jusqu’au cceur de la place.
De ses méfaits il souffrit peu de temps.
Le rat, devenu carnivore,
Agit si fort des pattes et des dents,
Et comme une pécore,
Il se rua si bien sur la provision,
Qu’il creva d’indigestion.
C’est un piège tendu qu'une trop bonne table,
Et de l’intempérant la fin est misérable.