J'errais d'un pas triste et rêveur,
A travers les débris d'un ancien monastère,
Renversé par le peuple aux jours de sa fureur.
La désolation de ce lieu solitaire,
Ces arceaux écroulés, ces chapiteaux épars,
Cet autel entr'ouvert, refuge des lézards,
Ces murs portant encor la trace de la flamme,
D'amertume et de deuil avaient rempli mon âme ;
Quand, au détour d'un mur qui masquait mes regards,
J'aperçois une jeune femme
Assise sur un banc de pierre ; elle chantait
Un air simple et touchant que le vent m'apportait.
Et, frais comme un bouton de rose,
Joyeux comme un matin de mai,
Près d'elle un bel enfant, à l'œil vif, animé,
Tantôt joue, et tantôt à ses pieds se repose.
Puis il se lève, il part, il va cueillir des fleurs,
La renoncule d'or, la jasione bleue,
Le chrysanthème à longue queue,
Dont sa mère en guirlande assortit les couleurs.
« Nature, m'écriai-je, ô Nature féconde,
Ainsi sur la face du monde,
Cercle mystérieux que mesurent les pas,
Tout naît, mais pour mourir ; tout meurt, mais pour renaître ;
Présidant à ces lois du néant et de l'être,
Toi seule ne les subis pas :
Toi seule, toujours jeune et toujours agissante,
Tu reproduis sans fin ce que détruit le Temps. »
Assis sur ces débris je méditai longtemps,
Et je bénis le Dieu dont la main bienfaisante,
Sur ce globe en proie aux douleurs,
Sème éternellement des femmes et des fleurs.

Livre VI, Fable 23, 1856




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