Jupiter et les Animaux Joseph Poisle-Desgranges (1823 - 1879)

Jupiter assembla jadis les animaux,
Et comme ils se plaignaient de n'être point égaux,
Il voulut bien admettre un projet de réforme
Et s'établir leur juge. Alors le plus énorme,
L'éléphant comparut et parla de son mieux :
O toi ! qui fais germer le seigle dans la plaine.
Toi que l'on reconnaît pour le premier; des dieux,
Apprends que ma puissance est Un poids, qui me gène
Et qu'elle me rend soucieux.
Je ne puis comme un autre habiter un domaine
Sans attirer sur moi la vengeance ou la haine ;
Je ne suis pas maître en mes bois v
Et je crains le lion et le tigre à la fois..,.
Las de moi-même, las du monde,
Je Voudrais m'exiler sous la terre profonde
Et le dis de bon cœur : je voudrais être rat.
— L'ingrat!
Repart soudain le rat irrité de colère;
Lui, qui pourrait sous ses piliers
Écraser des rats par milliers;
Lui, compagnon de l'homme et muraille de guerre,
Lui, que le Ciel combla de sa faveur entière,
Lorsqu'il est à vos pieds se plaint d'être trop grand..
Hélas ! que ne suis-je éléphant?
Je bénirais ce sort prospère.
— Soit, répondit Jupin, votre inaître est bon père.
Le serpent siffle alors,; rampé, s'approche et dît :
Seigneur ! YOUS le savez, la femme m'a maudit;
Je n'ose m'arrèter sous un rayon qui brille.
Et ma vie entière en dépend.
— A quoi sert la bonté? si pour elle on nous pend,
Réplique aussitôt ié anguille ;
Ma foi, vive, vive un serpent!
Quand on l'attaque il se défend.
Jupiter cède encore et chaque créature
S'en va chercher son élément.
L'escargot s'avança. — Quel est mon agrément?
Je nais captif et la nature
N'a voulu me donner qu'une écaille peu dure,
De sorte, hélas ! qu'à tout moment
L'homme en posant son pied m'écrase ou bien me tue,
Et maison pour maison, mieux vaut être tortue.
La tortue, à son tour, déplorant son destin,
Dit : Celui qu: m'a fait fit une gaucherie.
Je ne saurais courir au sein de la prairie "
Et j'envie, ici-bas, le bonheur du lapin.
Le lapin devint taupe et la taupe belette ;
Quant à dame grenouille elle fut moins simplette :
Elle connut sa soeur, mais voulut être boeuf.
Enfin, tout, jusqu'au ver, l'abeille et la chenille,
Tout désira changer de race et de famille,
. Mais on ne créa rien de neuf;
Jupiter vit alors qu'il n'était point la peine r
D'agrandir l'univers, ses mers et ses hauteurs;
Il conserva la même scène -
Pour le même nombre d'acteurs. —
Chacun change de rôle et non pas de conduite ;
Ce fut jadis ainsi, ce sera par la suite.
On a beau méditer des constitutions,
Faire des révolutions,
Tout reste au même point, à cette différence
Que les lots bien souvent sont plus mal répartis.
Peu de grands sont heureux de revenir petits ;
Beaucoup de parvenus sont fiers de leur puissance.