Le Roseau et Jupiter Eugénie et Laure Fiot (19ème siècle)

Un Roseau, d’une voix plaintive,
Demandait à Jupin De changer son destin.
Il était, sous les eaux, le soir et le matin,
Toujours ; et sa douleur en devenait très-vive.
Il priait donc que son étang
Fût mis à sec incontinent.
Mais le maître des dieux prit ainsi la parole :
« Voudrais-tu donc que je fisse périr
Beaucoup d’êtres pour ton plaisir ?…
Tu m’assignes un triste rôle !
Que deviendraient ces animaux
Qui sont par milliers sous les eaux ?…
Qu’en serait-il de toi dont là plainte insensée,
Dans ton intérêt même, est vraiment déplacée !
Si ton étang se desséchait,
Aussitôt l’on t’arracherait
Pour faire place à la prairie ;
Et moi, je veux te conserver là vie !

Ce que fit le roseau, chacun de nous le fait.
L’homme qu’aveugle l’intérêt,
Loin de bien voir les choses pour la massé,
Les voit pour lui de coin et tout à la surface.
Son propre vœu pourrait bien le blesser,
Si Jupiter songeait à l’exaucer.

Fables nouvelles, Livre V, Fable 14, 1851




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