Le Prêtre de Jupiter Jean-Pierre Claris de Florian (1755 - 1794)

Un prêtre de Jupiter,
Père de deux grandes filles,
Toutes deux assez gentilles,
De bien les marier fit son soin le plus cher.
Les prêtres de ce temps vivoient de sacrifices,
Et n’avaient point de bénéfices :
La dot était fort mince. Un jeune jardinier
Se présenta pour gendre ; on lui donna l’aînée.
Bientôt après cet hyménée
La cadette devint la femme d’un potier.
À quelques jours de là, chaque épouse établie
Chez son époux, le père va les voir.
— Bonjour, dit-il, je viens savair
Si le choix que j’ai fait rend heureuse ta vie,
S’il ne te manque rien, si je peux y pourvoir.
— Jamais, répond la jardinière,
Vous ne fîtes meilleure affaire :
La paix et le bonheur habitent ma maison ;
Je tâche d’être bonne et mon époux est bon ;
Il sait m’aimer sans jalousie,
Je l’aime sans coquetterie :
Ainsi tout est plaisir, tout jusqu’à nos travaux ;
Nous ne désirons rien, sinon qu’un peu de pluie
Fasse pousser nos artichauts.
— C’est là tout ? — Oui vraiment. — Tu seras satisfaite,
Dit le vieillard : demain je célèbre la fête
De Jupiter ; je lui dirai deux mots.
Adieu, ma fille. — Adieu, mon père.
Le prêtre de ce pas s’en va chez la potière
L’interroger, comme sa sœur,
Sur son mari, sur son bonheur.
— Oh ! répond celle-ci, dans mon petit ménage,
Le travail, l’amour, la santé,
Tout va fort bien, en vérité ;
Nous ne pouvons suffire à la vente, à l’ouvrage :
Notre unique désir seroit que le soleil
Nous montrât pius souvent son visage vermeil
Pour sécher notre poterie.
Vous, pontise du dieu de l’air,
Obtenez nous cela, mon père, je vous prie ;
Parlez pour nous à Jupiter,
— Très volontiers, ma chère amie :
Mais je ne sais comment accorder mes enfants ;
Tu me demandes du beau temps,
Et ta sœur a besoin de pluie.
Ma loi, je me tairai, de peur d’être en défaut.
Jupiter, mieux que nous, sait bien ce qu’il nous faut ;
Prétendre le guider seroit folie extrême ;


Sachons prendre le temps comme il veut l’envoyer.
L’homme est plus cher aux dieux qu’il ne l’est à lui-même ;
Se soumettre, c’est les prier.

Livre V, fable 6




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