L’Avare et l’Envieux Jean Guillaume Hillemacher (1784 - 1867)

L’avarice dans l’homme est un vice odieux ;
Mais, bien plus qu’un avare, on hait un envieux
Que le bonheur d’autrui, que la joie importune ;
Qui, tout comblé souvent des biens de la Fortune.
Ne peut souffrir qu’un autre ait part à ses faveurs.
La moindre préférence excite ses clameurs.
Incessamment en proie au démon qui l’inspire,
A ses propres dépens il est content de nuire ;
Et, pour lui, ce qu’il a devient indifférent
Dès qu’un heureux destin ailleurs en offre autant.
Pour bien peindre un tel homme et sa malice noire.
Uns fable à propos me revient en mémoire.
Un envieux et son voisin,
Ce dernier passait pour avare,
Se présentent ensemble aux autels de Jupin.
« Je sais, leur dit ce dieu bizarre,
Que le même souhait vous conduit devant moi ;
De l’accomplir je m’impose la loi ;
Bien plus : que,l’un de vous en fixe la limite,
Et, restant pour lui seul clans la borne prescrite,
En dieu qui veut toujours se montrer juste et bon,
Je donnerai le double au compagnon
Qui pour l’autre, en cette occurrence,
Aura marqué sa déférence. »

À ce discours inespéré,
Que devient notre pince-maille ?
D’un mot il peut s’enrichir à son gré,
Mais son esprit en vain travaille
À chercher le dernier degré
De cette soif de l’or dont il est dévoré.
Le coffre d’un avare est une mer profonde
Où viendraient s’engloutir les richesses du monde !
Notre homme à s’expliquer trouve un bien assuré.
Il en croit voir un plus.grand à se taire,
Il se tait. 0 regrets ! ô douleur plus qu’amère !
L’envieux triomphant, qui remarque l’orgueil,
Répond au Dieu : « Mes vœux sont sans orgueil :
Je te supplie, ô maître du tonnerre !
De me priver d’un œil. »

Jupiter, par ce coup, ne punit que l’avare ;
L’envieux eut son tour aux gouffres du Ténare.

Contes, fables et poésies, 1864




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