La Cigale et la Fourmi Jean-Baptiste Voinet (1976 - ?)

QUATRE VERSIONS DE CETTE HISTOIRE

La Cigale et la Fourmi

Laissez-moi vous conter, cette histoire navrante
De deux dames, oui, mais, ni cousines ni sœurs,
Voisines quasiment, pourtant, si différentes,
Chacune son talent, chacune son humeur.
Dans les mêmes lieux, comme des étrangères,
Ne se croisaient jamais, même pour un bonjour,
Une artiste de rue et une ménagère
Qui n'auront jamais su partager leur séjour.

Madame la Fourmi, derrière sa muraille,
Qu'elle avait maçonnée, dans sa grande ambition
Toute en pierre, en galets, ni de bois ni de paille,
Sait par cœur le récit des Trois petits cochons.
Connue dans le hameau, comme très autonome
On aime à lui prêter, toutes les qualités
De prudence et de soin d'une femme économe,
Qui saura préparer son hiver tout l'été.

Il en est autrement de Madame Cigale,
Elle aime le grand air, elle va sur les chemins,
Au printemps, en été, toujours très amicale,
On la croise toujours la guitare à la main.
La femme-troubadour, musicienne et conteuse,
Des petits aux plus grands, donne bien du plaisir,
Puis montre son chapeau et quand elle est chanceuse,
Elle peut dépenser, sans plus se retenir.

Au début de l'hiver ou la fin de l'automne
Madame la Fourmi, le grenier plein de blé,
Ou de tout autre grain, n'est plus là pour personne
C'est le temps du repos après avoir trimé.
Il n'en va pas ainsi pour Madame Cigale,
Tout seule dehors, Nature s'endormant,
Plus une seule fleur, plus le moindre pétale
Plus rien de ce qu'on peut se mettre sous la dent.

Sans ressource, appauvrie, en désespoir de cause
La grande dame dut se résoudre à frapper
À la porte à côté : « Bonjour madame, j'ose,
Si vous le voulez bien, demander, réclamer
Quelques grains pour passer la saison la plus dure,
Simplement un emprunt, entendez mon appel ;
Juste le minimum serait de bon augure,
Me permettrait alors, d'attendre le dégel. »

La plus menue des deux, des deux la moins prêteuse,
N'avait aucunement, l'intention d'écouter
Plus avant les malheurs de l'illustre emprunteuse,
Jurant ses grands dieux qu'il fallait travailler,
Travailler, travailler, et travailler encore,
Travailler, pas jouer, travailler, pas chanter,
Fut-ce la nuit le jour, du couchant à l'aurore,
Et de la pauvre, alors, ferma la porte au nez !



La Cigale et la Fourmi 2

Bien sûr, vous connaissez l'histoire
De la cigale et la fourmi
Par respect pour notre auditoire
Nous vous l'épargnerons, promis !
Mais toutefois, des deux voisines,
Laquelle a votre inclination
Celle qui, dans les champs s'échine,
Ou bien l'autre, sans discussion ?

La fourmi, pleine de prudence,
De principes et de valeurs,
Garde du grain en abondance ;
Le travail ne lui fait pas peur.
La cigale est bien différente :
Moins prompte à préparer l'hiver
Elle voyage, insouciante,
Chante des poèmes en vers.

Oui, mais, Fourmi n'est pas prêteuse
Ni blé ni oseille à donner,
Et face à l'aimable emmerdeuse,
Elle ferme la porte au nez.
Et maintenant, des deux voisines,
Qui préférez-vous, à la fin ?
Est-ce que votre choix s'affine
Entre l'avarice et la faim ?



La Cigale et la Fourmi 3

Vous reconnaissez-vous dans madame Fourmi ?
Êtes-vous davantage une dame Cigale ?
Surveillez-vous vos biens, comme vos seuls amis,
Ou bien vous lassez-vous des leçons de morale.
La première des deux, amasse assidûment
Chaque grain de maïs, de blé, en abondance
La seconde transporte, au dos, ses instruments
Elle aime la chanson ; elle chante, elle danse.

Au début de l'hiver, tout naturellement,
Vinrent à s'absenter public et nourriture,
Plus de grain dans les champs, plus d'applaudissement,
Plus une âme qui vive en la froide nature.
Madame la Cigale, pas de gaité de cœur,
Rechercha la Fourmi, vint cogner à sa porte :
"Madame, j'ai besoin d'aide, j'en ai bien peur,
Si vous ne voulez pas, qu'ici je tombe morte !"

Comme le dit l'histoire et comme on le sait bien,
Madame la Fourmi n'est pas bonne prêteuse,
La guitare à la main, l'insecte n'aura rien,
Quand bien même elle fut une grande chanteuse.
"Cousine, plût à Dieu que le printemps durant,
Vous chantâtes gaiement, en oubliant la fable,
Reprenez donc la route en dansant, en courant,
Moi, mon grenier est plein, alors, allez au diable !"


La Cigale et la Fourmi 4

Gente Dame Fourmi, que n’avez-vous ouvert
À qui le demanda simplement votre porte ?
Hiver est arrivé, la neige a recouvert
Les plaines et les bois et la Cigale est morte.
Dame, je n’oserais vous appeler « bourreau »
Pas plus je ne dirais que vous êtes coupable
Mais vous êtes bien aise et derrière vos barreaux
Le grain ne manque pas, comme le dit la fable

La fable, justement, que l’on m’apprit jadis
Ne nous dit-elle pas que chez vous la marmite
Regorge abondamment de riz et de maïs ?
Pour ça je dis bravo, et je vous félicite !
Assurément, c’est là le fruit d’un dur labeur
Pour amasser ces biens, il fallut du courage,
Il fallut de l’ardeur, du temps, de la sueur.
De fournir ce travail, vous fûtes assez sage.

Toutefois, revenons, si vous le voulez bien
Sur votre grand sœur (j’entends là par la taille.
Dans ses poches trouées, Cigale n’avait rien.
Qui lui fallait-il faire ? Où fallait-il qu’elle aille ?
Il fallait travailler, se lever tôt matin ?
Oh, je vous vois venir. En bonne ménagère
Il fallait travailler, travailler de ses mains
Choisir de bons outils et retourner la terre ?

Mais voilà la Cigale adorait la chanson,
Jouer de la guitare et lire des poèmes,
En toute humilité, sans chercher la rançon
De la gloire, ne les honneurs, ni les problèmes.
De la sotte chanteuse, Hiver régla le sort ;
Elle fut bien punie en son insouciance.
Mais quelle punition, dites-moi, que la mort !
Pour n’avoir pour prévu le froid, quelle sentence !

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Il existe une chanson sur les deux premiers textes. La seconde a été pensée pour chorale à 4 voix SATB. La troisième n'est pas la meilleure. La quatrième, plus sociale, a été écrite au Québec.