UN serpent, un dragon, quelque chose de mieux,
Python.... Vous revenez encore aux demi-dieux ;
De leurs dits, de leurs fails, le récit nous accable,
Va me dire un censeur. Faites-vous une fable ?
Parmi les animaux choisissez vos acteurs.
Suivez le bon Esope, il fit très-peu d'usage
De cet étrange ciel, éloigné de notre âge.
Nous voulons des tableaux rapproches de nos mœurs.
De l'instinct animal, la marche toujours sûre,
Fait de notre raison beaucoup mieux la censure.
Python était un être merveilleux,
Enfant d'une déesse, et presque égal aux Dieux.
Qui, lui ? l'égal des Dieux 1 autant vaut la chimère.
Il était fils de madame Tellus,
En français, madame la Terre.
N'a-t-on rien à dire de plus ?
Ce n'était, selon moi, qu'une très-lourde bête,
Je ferai plus, si je m'entête:
Je prouverai mon dire par le fait.
Je débute par son portrait :
Imaginez l'énorme créature,
Tenant de l'humaine figure,
Depuis la tête à la ceinture ;
Mais quels yeux ! c'est le feu d'un volcan qui s'éteint.
Si l' on en croit la renommée,
Il en sortait de la fumée,
Sans qu'elle pût cacher la rage qui s'y peint.
Au haut d 'un front cornu, d'une étrange manière,
Des serpents irrités, en forme de crinière,
S'agitent sans relâche, et, se couvrant de dards)
De cent mille trépas menacent les regards ;
Au fond de son énorme gueule,
Au lieu de dents, est une double meule.
À la porte d'un fort, lorsque survient la nuit,
Une herse s'abat avec un moindre bruit.
Parlons de sa poitrine énorme,
Couverte d'une écaille informe :
Le verdâtre limon dont il fut engendré
Y reluit sous l'ordure où le monstre est vautré.
Ses mains ; disons bien mieux, ses pattes ; non, ses serres,
Qu'arment des ongles mortifères,
Plus aigus, plus tranchants que ne l'est un rasoir,
Criblent jusqu'aux cailloux qui couvrent le terroir.
Que dirons-nous de son énorme queue ?
Elle éclaboussait d'une lieue.
Partout où retombait ce déluge bourbeux,
Sa chute enveloppait les êtres malheureux,
Dont aucun n'échappait à ses grifses cruelles.
Il s'élevait encore avec des ailes,
Qui, par bonheur, n'étaient qu'un mannequin
De côte de baleine et de peau de requin.
Sur ce tableau (pardonnez-moi, madame,
En vous interrogeant, je deviens impoli);
Si votre chien vous semblait moins joli,
Nous diriez-vous, qu'il a de l'âme ?
Vous allez donc réduire au plus brutal instinct
L'horrible animal que j'ai peint.
Et, d'autant qu'il m'est nécessaire,
Je prétends m'en servir comme Ésope eût pu faire..
C'est trop nous arrêter ; entamons le sujet.
Le souverain du ciel était un Dieu coquet.
Et, sans s'embarrasser si Junon en raisonne,
Il s'était, coiffé de Latone ;
Son épouse en gémit, et médite en secret
Les moyens d'écarter sa rivale odieuse.
Faire du bruit, lui semble peu discret.
On sait que Latone est peureuse :
En l'effrayant on est sûr de son fait.
Python, pour tel office, est un être parfait.
Partez, Iris, descendez sur la terre,
Je vous y fais ma messagère,
Et décidez le monstre à remplir mes projets ;
Pour l'en récompenser tous mes trésors sont prêts.
Madame, dit Iris, le monstre m'épouvante.
Vous me voyez toute tremblante
Du seul dessein de l'aborder ;
Et d'ailleurs, pour le décider
A braver Jupiter en attaquant Latone,
Par quel motif faut-il qu'on l'aiguillonne ?
En vous obéissant, je ferais mon devoir ;
Mais ce que vous voulez excède mon pouvair.
Junon lui répond : Vous êtes jeune encore ;
Iris, vous atteignez à peine à votre aurore,
Je connais ce que vous valez :
Il n'est monstre qui tienne, allez,
Exécutez les ordres qu'on vous donne.
Du charme qui vous environne,
Vous connaîtrez bientôt l'effet.
Python, en vous voyant, devient votre sujet.
Dites-lui : Notre souveraine
Vous livre l'objet de sa haine ;
Poursuivez-le. Jupiter en courroux,
Si Junon n'y consent, ne peut rien contre vous.
A cet ordre précis, la nouvelle courière
Du firmament a franchi la barrière,
Et le consolant arc-en-ciel,
Qui faisait l'ornement du ciel,
Pour la première fois vient embellir la terre.
Son arc, en embrassant le quart de l'hémisphère,
Porte une base sur l'Athos
Quand l'autre, de Python, a pour appui le dos.
Là, de l'air qu'on aurait, lorsque rien n'intéresse,
On voit descendre la déesse. '
A son approche on eût vu les vapeurs
Qui s'exhalaient de la terre infectée,
Par l'énorme masse habitée,
Se peindre, en un moment, des plus riches couleurs.
De célestes parfums remplacent les odeurs
De cette région, justement abhorrée :
Les sens attesteraient qu'on la couvre de fleurs ;
Et le soleil, du haut de la plaine éthérée,
Ne craignant plus de voir cet endroit odieux,
Y darde ses rayons, sans détourner les yeux.
Le monstre, transporté, se retourne en arrière ;
Les serpents qui formaient son horrible crinière,
Cessant tout-à-coup d'être épars,
Endormis sur son col, y retombent sans dards.
Il voit l'objet divin qui sur lui se repose....
Quoi, vous ! Quoi, sur mon dos ! qui vous amène ici ?
Daignez m'en apprendre la cause....
Eh ! comment, Python ; vous voici !
Aux environs la plage est inondée :
J'y voulais trouver un appui ;
Et, d'en haut, à mes yeux, votre armure a relui,
Je vous ai pris pour une mine rare,
Un trésor arraché de cette terre avare,
Un tas de métal précieux.
Comme tout est ici cloaque ou précipice....
Mon dos est à votre service ;
Et flatté de se voir honoré par les Dieux,
Répond le monstre glorieux.
Je veux bien m'en servir, dit Iris, d'autant mieux
Que j'ai quelque chose à vous dire.
On s'entretient de vous, là-haut
Et ce n'est pas pour en médire.
A ce propos qui le met en délire,
Le monstre aurait voulu sourire ;
Pour cette expression, ses traits sont en défaut.
Iris poursuit : Dans une conférence,
Dans un conseil, où bien peu sont admis,
Junon laissa, pour vous, voir quelque préférence ;
Aisément vous pourriez être de ses amis.
Qui, moi ! répond le monstre, enivré d'espérance,
Elle peut disposer de toute ma puissance.
De la reine de l'Univers,
Je suis prêt à porter les fers.
Iris voit bien que le traité s'avance,
Et que Python est prêt à tout oser,
Quoi qu'on veuille lui proposer.
De Jupiter, un autre aurait craint la vengeance ;
Lui n'en est point épouvanté.
Toujours le scélérat crut à l'impunité.
Pour mériter sa récompense,
Moitié rampant, moitié volant,
Il vient de prendre son élan,
Et se transporte tout de suite
Vers les lieux que Latone habite.
La belle voit venir cet horrible galant,
Attendant toute autre visite :
La frayeur, aux jambes d'élan,
Au bord de la mer l'a conduite,
Et la frayeur l'y précipite.
Un dauphin bien instruit la reçoit sur son dos,
Pour elle l'Océan vient d'enfanter Délos.
Un couple y va prendre naissance,
Mis à l'abri des fureurs de Junon ;
C'est Diane, c'est Apollon.
A peine éclos, ils sont en jouissance
Et du pouvair et de la préséance :
Pour les Dieux il n'est point d'enfance ;
Dès qu'ils sont nés, ils ont des soins.
C'est, peut-être, un bon temps de moins.
Ils ne sont jamais vieux : ici tourne la chance :
Je la crois toute en leur faveur.
Un autre poids entre dans la balance.
Toujours vivre : fort bien ! pourvu qu'on soit heureux :
Il faut cela pour m'en rendre envieux.
Voyons quelle est la consistance
De ce nouveau couple de dieux.
Là-haut, comme ici-bas, tout change de mesure,
Selon les passions qui gouvernent les lieux ?
Diane est au palais, en très-bonne posture,
Apollon prend un rang qui va tout éblouir.
En travaillant, il faut jouir.
Il s'amuse à tirer de l'arc, et, sur la terre,
Il cherche un but sur qui lancer ses traits j
Il aperçoit l'ennemi de sa mère :
Des essais du talent Python fera les frais.
Le monstre se plaint ; il réclame
Ce pouvair qui pour lui devait se déployer,
Sans être écouté de la dame.
Sa mère en sa faveur aurait dû s'employer ;
Mais, ayant perdu cette haine
Qu'elle conçut jadis contre l'engeance humaine,
Honteuse un peu de l'avair engendré,
Ses vœux pour lui sont qu'il soit enterré.
Tout l'Univers pense de même.
Il beugle, il rugit, il blasphème,
Et crève, indigne de pitié.
Vous qui courez la même chance,
Vils ministres de la vengeance,
Son roman vous est dédié.
Note de l'auteur :
Athos, montagne entre la Macédoine et la Thrace.