Le Mécanicien Ivan Krylov (1768 - 1844)

Un beau jour, certain étourneau
Achète une maison très vaste, déjà vieille,
Mais solide, commode et construite à merveille.
Tout était à son goût ; C'était um vrai Cadeau !
Un seul point y manquait : on n’y trouvait pas d'eau.
« Bah ! se disait notre homme, à tout il est remède ;
La maison est à moi ; sans y déranger rien,
En prenant avec soin la mécanique en aide,
Je pourrai d’un cours d’eau la rapprocher très bien. »
Par cette preuve sans réplique,
On peut voir que votre insensé
Pour la science mécanique
Avait un goût très prononcé,
« D'abord, des fondements dégageons l'édifice,
Sur d’énormes traineaux il viendra se placer,
Des cabestans, pour le hisser,
Pouvant nous prêter bon office.
Puis, sur de grands rouleaux, pour le mettre en chemin,
Nous le ferons glisser ensuite
Bravo ! L'affaire ainsi conduite
Ira dés l'ors comme à la main !
Ah ! j'ai même une idée encor plus singulière,
Et dont nul jusqu'ici ne s'est imaginé :
Le jour où ma maison ira vers la rivière,
Je veux qu'avec musique un bal y soit donné.
Les amis, comme un jour de noce,
Pourront faire ripaille autour d'un grand festin,
Et c'est ainsi qu'un beau matin
Dans mon nouveau séjour j'irai comme en carrosse. »

Ravi d’un si beau plan, notre mécanicien,
Sans plus tarder, se met à oeuvre,
De nombreux ouvriers dirigeant la manoeuvre,
Il fait creuser, creuser ; pour tout mener si bien,
Argent, soin et fatigue, il ne ménage rien.
Et la maison pourtant à bouger n'est pas prête !
Mais, un beau jour, d'un oeil surpris,
Notre étourneau voit sur sa tête
De son toit crouler les débris.

Heureux encor par ses sottises
Quand l'insensé ne nuit qu’à lui ;
Mais que de gens font sur autrui
Crouler leurs folles entreprises !

Livre IV, fable 14


"Mécanicien" ici, prend le sens de "Ingénieur".

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