Un beau jour, le peuple des rats.
Prétendant par le monde être réputé brave,
Malgré les intendants, les chattes et les chats,
Veut qu'on parle de lui du grenier à la cave.
Portiers et marmitons vont avair du tracas !
Mais, pour mener à bien la chose,
Le peuple doit, sans différer,
Réunir un conseil où, par formelle clause,
Les rats à longue queue auront seuls droit d'entrer.
Le conseil de l'expérience
Sur ce point est très-décisif:
Seuls les rats bien pourvus méritent confiance.
Ayant corps plus agile et même esprit plus vif.
« Sottise ! " direz-vous ; mais n'a-t-on pas coutume,
Par un usage équivalent.
De juger chez nous du talent
Suivant la barbe et le costume ?
Enfin, sur ce point contesté
Qu'on approuve ou non leur idée.
Sachons qu'à l'unanimité
La chose ainsi fut décidée.
Qu'un rat donc eût perdu le tout ou la moitié
De sa queue, un jour de bataille,
Stupide ou maladroit, n'étant qu'un rien qui vaille,
Il serait du conseil évincé sans pitié.
Tout bien délibéré, l'on annonce à l'avance
Qu'à tel jour fixé, vers la nuit.
Le conseil dans la cour s'assemblera sans bruit.
Dans le fond d'une huche, on ouvre la séance.
A peine est-on assis, qu'à l'insu du conseil,
Un gros rat écourté s'est glissé dans la place ;
Mais un jeune raton, froissé de son audace,
Au rat qui présidait s'en va donner l'éveil.
« Quoi ! dit le raton en colère.
Un rat sans queue effrontément
Siège avec nous, et l'on tolère
Cet affront fait au règlement !
Prends la parole, et qu'au plus vite
Il soit exclu ; les écourtés
Parmi nous sont fort peu goûtés :
Comme la peste on les évite.
Qui n'a pas su se protéger
Pourra-t-il être utile aux autres ?
Il ne peut, au jour du danger.
Que nous perdre, nous et les nôtres.
— Pour moi, lui répond le vieux rat,
Tout ceci n'est point un mystère ;
Mais chut ! mon cher, et point d'éclat,
Car cet intrus est mon compère. »
Je vois chez nous maint président
Se conduire ainsi d'habitude :
Nous fait-il un beau règlement.
Il est le premier qui l'élude.