Un gros chat sous sa grifse attrape un rossignol ;
De la patte d'abord légèrement il presse
Le pauvret gisant sur le sol,
Et Ton dirait qu'il le caresse.
« Mon ami, lui dit-il de sa plus douce voix,
Petit rossignol, ma chère âme,
Tu chantes à ravir, partout on le proclame,
Et tu fais le bonheur des habitants des bois.
Si j'en crois renard, mon compère,
Lorsque tu chantes ta chanson,
Ton harmonie est si légère,
Que le berger et la bergère
En perdent presque la raison.
Mais je voudrais aussi t'entendre ;
\e tremble pas ainsi, ne fais pas l'entêté.
Que crains-tu donc ? En vérité.
Pour te manger, mon cher, j'ai bien le cœur trop tendre.
Chante un tout petit air, et tu pourras après
Voltiger à loisir au fond de tes forêts.
J'ai, comme toi, pour l'harmonie
Un goût tout à fait étonnant.
Et, quand ma journée est finie,
Je ne m'endors qu'en fredonnant. »
Malgré ses doux propos, la bête scélérate
Pressait de plus en plus le pauvret sous sa patte.
« Allons, répétait-il, chante un peu, je t'en prie. »
Mais notre virtuose, au lieu de chanter, crie.
- Quoi ! c'était donc ainsi que lu charmais les bois ?
Reprit le chat. Belle musique !
Qu'as-tu donc fait de cetle voix
Si pure, si sonore, et qu'on disait unique ?
Parl)leu ! pour me donner de tels charivaris,
De mes petits chatons j'ai bien assez des cris !
Mon oreille à tes chants pauvrement se régale ;
Pour mon ventre ta chair sera meilleur morceau. »
Et, sans pitié, l'affreux bourreau
Le saisit, le croque et l'avale.
Faut-il pour être clair faire nouveaux efforts ?
Je vous le dis tout bas : C'est en vain qu'on se flatte
De faire aux rossignols chanter de doux accords,
Quand le chat les tient sous la patte.