La Promenade des Animaux Henry Macqueron (1851 - 1888)

J’ai toujours eu pour l'Ours un goût particulier.
Il est grave, point fier; sous ce dehors grossier
Certes ne manque pas l’étoffe.
On ne peut que gagner à bien l'étudier :
Car, j’en suis convaincu, c’est un grand philosophe.
« Philosophe ! va s’écrier
Quelque docteur de la Sorbonne;
Mais il ne parle pas. A-t-il écrit du moins ?
— Il parle point ou peu; sur rien ni sur personne
A composer un livre il ne perdit ses soins.
Mais qu’écrivit Socrate ? En discours peu prolixe,
Un vrai sage n’est point en chaire à l'heure fixe.
Il prêche mieux d’exemple; ou bien, en peu de mots,
Sur le fait saisissant un tort, une folie,
Sans entrer en détails sur la psychologie,
Sur le vide, ou le plein, les redresse à propos.
Tel est mon Ours. — Mais on ne parle guére
De sage faconné de semblable maniére.
— Le vrai sage en public ne faisant d’embarras,
Le vrai sage est celui dont on ne parle pas.
Tel est mon Ours. » Un jour de fête,
Ce fut parmi les animaux
Promenade publique. On y vit, en deux mots,
Une collection parfaite
D’imbéciles pour se montrer,
De sots pour les considérer,
Tous de médire fort en peine.
Crest chez les animaux qu’ainsi l’on se promène.
Une Cane allait clopinant;
Une Oie arrive tout clochant,
Et prétend que la barboteuse
N’a pas le port très élégant.
Aussi bien à propos railleuse,
La Cane, de l'épaule en poussant son mari,
Sur un ton nasillard lui criait à l’oreille :
« Quel beau Paon ! oui, vraiment, c’est vivante merveille ;
Mais je l’engagerais à radoucir son cri.
— Hé, bonjour donc! lui dit, Pinterrompant, la pie.
Quelle nouvelle ici ? Comment vous portez-vous ?
Savez-vous bien... Mais chut!je ledis entre nous,
Cette Corneille hier recut de son époux
Quelques bons coups de bec. Elle est un peu harpie ;
Avec une commère elle a trop caqueté.
Le tout fut au mari mot à mot rapporté,
On ne sait pas comment. De là, brouille au ménage.
Mais n’en disons pas davantage ;
C’est ma meilleure amie, Aussi, grace à mon soin,
Vous les voyez d’accord ensemble, Est-il besoin,
Leur ai-je fort bien fait comprendre,
D’instruire le public chacun de vos défauts ?
Pour vous, dis-je au mari, vous avez l’esprit faux,
Grondeur, très obstiné, difficile à se rendre
Surtout à la raison. Eh bien!
Faites que l'on n’en sache rien.
Vous, la Corneille, ma chérie,
Ayez plus de réserve, et craignez les bavards
Qui pourraient sottement divulguer vos écarts,
En absence d’époux, moins de coquetterie,
A vos œufs soyez plus, aux caquets pas autant.
Mais qu’y fera ma peine? Elle babille tant ! »
Chez les gros animaux c’était même aventure,
Monseigneur du Cheval, à la belle encolure,
Par quelqu’un fut vanté comme un vif animal.
Un Taureau prétendit que c’était un brutal,
« Je vous comprends fort bien ; vous aimez chez les autres,
Dit l'Ours passant par 1à pour gagner sa maison,
Soit à tort, soit avec raison,
Reprendre les défauts qui sont aussi les vôtres.
Mais, sur leur ridicule ayant d’assez bons yeux,
Corrigez-les en vous; vous ferez beaucoup mieux. »

Fable 27




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