Les Bulles de Savon Édouard Granger (19ème siècle)

Quelques enfants, groupés sur l'appui d'un balcon,
Faisaient luire au soleil dos bulles de savon,
Quand un singe, trouvant la chose merveilleuse,
Sauto au milieu de la bande joyeuse,
Saisit la tasse et le windsor
Et fuit au fond dos bois, emportant son trésor.
Après avoir mûri son projet dans sa tête,
Il dit : « Parbleu, je crois que ma fortune est faite ;
Pour cela que faut-il ? que je trouve dos sots'
Et rien vraiment n'est plus facile :
On en rencontre aux champs aussi bien qu'à la ville. »
Ceci posé, notre singe, en deux sauts,
Grimpe sur un talus, d'où, par mainte grimace,
Il amuse à ses pieds la foule qui s'amasse :
« Venez, dit-il, Messieurs, venez, c'est le moment
« Où je vais vous prouver ce que peut ma science ;
« Par elle j'ai trouvé mieux que le diamant !
Et chacun d'accourir ; grande est l'impatience.
Lors, d'un air doctoral, il agite dans l'eau
Le précieux savon, et prenant un pipeau,
Il le porte à se bouche et produit la merveille !
Certes, jamais chose pareille
Des habitants des bois n'avait frappé les yeux.
Joko d'un tel succès était tout radieux :
« Voyaz, dit-il à la foule badaude,
Contemplez le reflet de la verte émeraude !
Le rosé du rubis ! l'azuré du saphir!
Le violet qui vient s'unir
A l'oranger de la topaze !
Est-il, Messieurs, rien de plus beau !... »
Puis, s'arrêtant dans son emphase,
Il se remet à souffler de nouveau
Dans l'eau.
Le bon public, en proie à son extase,
Ne cessait point d'admirer, d'applaudir
(On est près du succès quand on sait éblouir...);
L'ours était transporté ; le tigre, la panthère,
Juraient par leurs grands dieux que jamais, sur la terre,
Leurs yeux n'avaient rien vu de plus étourdissant !
Le chameau s'approcha, disant : « Sur ma parole,
« C'est trop pyramidal ! mon cher, c'est ravissant!
« Après un tel succès vous (lovez faire écolo! »
Le singe, à ce discours, imitant le corbeau,
Pour répondre, à ses pieds laissa choir son pipeau;
Partant, adieu reflets aux teintes prismatiques !
Puis avec eux s'en vont les rêves chimériques ;
Car, la foule accourant pour le féliciter,
Malgré tous ses efforts, il ne put éviter
Qu'on avançât le nez vers la coupe enchantée,
Un peu légèrement et prônée et vantée.
De l'effet merveilleux on veut avoir raison,
On s'empare du vase... A cette trahison,
La curiosité redouble ;
Dans la coupe chacun regarde, et qu'y voit-on ?
Un peu d'eau trouble.

Je sais plus d'un autour marquant
Dont les écrits pourraient ici se mettre en cause...
Si vous on ôtez le clinquant,
Que reste-t-il au fond ?... Rien ou bien peu de chose.

Livre I, fable 15




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