La Nymphoeacée Louis Berlot-Chapuis (1823 - ?)

Reine des bords fleuris du riant Yacouma,
La victoria regia
Se vit mettre humblement dans une auge de pierre,
Sous l'horizon brumeux de la froide Angleterre.
Que lui sert aujourd'hui sa magique beauté,
Et le somptueux voisinage
Qu'entoure une autre majesté?
N'est-elle pas en esclavage ?
Adieu les oiseaux de rivage,
Les noirs et brillants jacanas,
Qui prenaient de joyeux ébats
Sur son hospitalier feuillage,
Lorsque des reflets d'or de son embrasement
Phébus illuminait de lueurs flamboyantes
Son humide palais, où le long caïman,
Sous ses feuilles, nonchalemment
S'abritait des ardeurs brûlantes.
Tranquilles bois, légers roseaux,
Perles des cieux, mobiles eaux,
Tout autrefois lui faisait fête.
Un jour la recluse inquiète
Entendit fièrement la reine de renom,
Qui lui donna son nom,
Lui vanter le pompeux hommage
Et les soins attentifs de son noble entourage.
C'était de l'exilée augmenter le dépit.
Aussi la belle répondit :
« Votre étincelante couronne
Et l'éclat qui vous environne
Réveillent dans mon cœur des lieux que j'abandonne.
Pour n'y plus revenir,
Le triste et doux regret d'un touchant souvenir.
Ah ! votre exil princier ne saurait qu'embrunir
Mon prisme radieux, qui vous faisait envie !
Tendres émotions du printemps de ma vie,
Que n'avez - vous duré toujours ?

Le ciel de la patrie embellit seul nos jours.

Livre I, fable 23


Sous-titre : Victoria Regia dans les serres de la Reine d'Angleterre

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