Les fables en quatrain de Henri Dottin - Livre I
60 fables réparties en 4 livres.
LIVRE I
I. LE PAPIER ET LA LOQUE
Le papier se moquait de la loque fort sale
Qu'un valet insolent chassait .hors d'une salle.
« Il te sied bien, ma foi, de me railler ainsi :
Ne te souvient-il plus que, tu fus loque aussi ? »
II. LE CHAT ET LE RAT
« FRÈRES, disait un chat, croyez-moi, désormais
Des rats inoffensifs ne faisons, plus nos mets. »
Un rat passe à l'instant, il le croque au passage.
Tel prêche la morale, et n'en est pas plus sage.
III. LE PLATANE ET LE SAULE PLEUREUR
« POURQUOI laisser, mon cher, ton beau front se courber ?
Dit le platane au saule, ô la sotte habitude ! »
Mais le saule gardant sa modeste attitude,
Répond : « Sur les hauteurs la foudre aime à tomber. »
IV. LE POISSON, LE VER ET L'HAMEÇON
CI DIEU! quel friand morceau! » s'écriait un poisson.
En voyant le long ver qui couvrait l'hameçon.
Il mord le ver, soudain sa lèvre est accrochée.
Souvent sous le plaisir une peine est cachée.
V. LE CONSCRIT ET SON COMMANDANT
Du combat un conscrit fuyait : son commandant
Le traite de poltron; mais soudain le jeune homme :
« Moi poltron, quel mensonge! oh! non, je suis prudent. »
Un avare jamais ne se dit qu'économe.
VI. LE MALADE ET SON BATON
UN malade sentant renaître sa souplesse >
Jette au feu le bâton qui soutint sa faiblesse.
Combien de députés, à peine réélus,
Sont envers l'électeur plus chiches de saluts.
VII. LE VOYAGEUR ET SON CHIEN
UN voyageur suivait la route, dans la plaine
Courait son jeune chien, en faisant mille tours :
Avant le voyageur le chien fut hors d'haleine.
Il faut savoir marcher vers le but, sans détours.
VIII. LE PELERIN ET LE MIRAGE
POUR atteindre au désert un séduisant mirage,
Un pèlerin lassé marchait avec courage ;
Le mirage toujours fuyait devant ses pas.
Ainsi l'homme au bonheur marche et ne l'atteint pas.
IX. LE PECHEUR ET LA MER
UN pêcheur sur le sein d'une tranquille mer
Sans crainte naviguait, quand un soudain orage
Sur son fragile esquif vint déployer sa rage.
Fuis ce qui, bien que doux, peut devenir amer.
X. LE NOMBRE ET LE ZERO
ci Sans moi tu n'aurais pas de valeur sur la terre,
Au zéro son voisin disait un numéro.
Que de gens ici-bas pour qui leur secrétaire
Fait l'office d'un nombre en avant d'un zéro.
XI. LE ZÉRO RÉPONDANT AU NOMBRE
« Oui, répond le zéro, quand avant toi je passe,
Je ne suis rien5 sur moi lorsque tu prends le pas,
J'ai beaucoup de crédit : n'en résulte-t-il pas
Qu'il faut que, pour valoir, chacun soit à sa place. »
XII. LE CHIEN, L'AGNEAU ET LE LOUP
Un chien dit à l'agneau : «Fuis, fuis, sans plus attendre,
Voici le loup. » L'agneau broute en paix l'herbe tendre.
Et le loup fond sur lui. Contre un mal à venir,
Tandis qu'il en est tems, sache te prémunir.
XIII. LE BOIS, LA FLAMME ET LE SOUFFLET
À la flamme le bois criait :« Miséricorde !
Que tu me fais souffrir en me brûlant ainsi. »
— « Mais, mon cher, au soufflet il faut te plaindre aussi,
Car coupable est celui qui souffle la discorde. »,
XIV. L'HIRONDELLE
Une jeune hirondelle, au retour du printemps,
Cherchait son ancien nid pendant à ma fenêtre.
Après avoir au loin, comme elle, erré long-tems,
L'homme revient toujours au toit qui le vit naître.
XV. LE CHEVAL
CERTAIN cheval boiteux criait avec fierté :
« Une jument célèbre en ses flancs m'a porté. »
On voit ëncor des gens, par orgueil et faiblesse,
A défaut de mérite, étaler leur noblesse.
XVI. L'OISEAU CAPTIF
« AUTREFOIS de la faim tu souffrais dans la plaine;
Ta cage maintenant de mets est toujours pleine,
Et pourtant", bel oiseau, tu n'as plus la gaîté;
Que te manque-t-il donc, réponds? » — La liberté!
XVII. LE PAPILLON ET LA CHANDELLE
UN joli papillon voyant une chandelle,
Admirait son éclat, voltigeait autour d'elle
Or, bientôt s'y brûla cette tête à l'évent.
De ce qui brille il faut se méfier souvent.
XVIII. L'AVOCAT
UN avocat courait au palais, haletant :
Sans doute pour plaider une importante affaire ;
Non, car c'était Motus, l'avocat consultant.
Tel qui fait l'empressé n'a souvent rien à faire.
XIX. LE TRAVAIL, L'OISIVETÉ ET LA RAISON
De son pénible sort le travail gémissait,
Et dame oisiveté dans l'ennui languissait;
« Mes chers enfants, leur dit la raison, il me semble
Qu'il faut, pour vivre heureux, que vous viviez ensemble. »
XX. LA VERTU, L'HONNEUR ET LE CRIME
L'HONNEUR et la vertu voyageant sur la terre,
Rencontrèrent le crime en un bois solitaire :
Or, la vertu du crime ayant serré la main,
Seul ensuite l'honneur poursuivit son chemin.