Il était autrefois, au pays de Turquie,
Un meunier qui, soir et matin,
Importunait Allah, réclamant de la pluie
Pour faire tourner son moulin.
En face demeurait le maître d'un jardin
Planté de figuiers, et sans cesse
Il demandait qu'Allah, dans sa sagesse,
Envoyât du soleil pour faire prospérer
Les fruits nombreux de son verger.
Mais, tandis que nos gens chantaient leurs patenôtres,
De leurs besoins le Ciel peu soucieux,
Tour à tour serein ou brumeux,
Ne contentait ni l'un ni l'autre.
Eux alors de se lamenter :
« A quoi sert de prier, si jusqu'à ton oreille
Ma voix, Allah, ne peut monter ? »
Disait l'un. — « Peut-on voir injustice pareille ! »
Disait l'autre ; « le Ciel a décidé ma mort ! »
C'était à qui crierait plus fort.
Un Derviche entendit leurs plaintes misérables :
« En vérité, dit-il, je vous trouve admirables !
Ainsi, pour exaucer votre simple désir,
Le Maître de Là-Haut troublerait à plaisir
La marche des saisons et leur ordre immuable !
S'il fallait accorder les choses d'ici-bas
A ce que vous voulez ou bien ne voulez pas,
Les plus savants S3 donneraient au diable ! »
L'homme en tous les pays est le même animal :
Lorsque chez lui quelque chose va mal,
Il s'en prend à la Providence
Au lieu de confesser, par un aveu loyal,
Sa sottise ou son ignorance ;
La colère du Ciel vient là fort à propos,
Et la Providence a bon dos.