Le Vieillard qui portait son Âne Poggio Bracciolini (1380 - 1459)

Un vieillard cheminait avec son fils et se rendait au marché pour y vendre son Âne qui, libre de tout fardeau, trottait devant eux. Des paysans qui travaillaient dans les champs, les voyant passer, blâmèrent le vieillard, de laisser l’animal sans aucune charge : Pourquoi n’étaient-ils pas montés dessus, cela leur eut été utile à tous les deux, le père à cause de son âge avancé et le fils à cause de sa jeunesse ? Alors le vieillard mit le jeune homme sur le baudet et continua sa route. Nouvelle rencontre, nouveaux reproches. - « Quelle insanité que celle de ce bonhomme cassé par l’âge qui met un plus robuste que lui sur la bête, et tout exténué suit la bête ! » Changeant d’avis, le vieillard fait descendre le garçon et prend sa place. Un peu plus loin, il s’entend encore blâmer. — «Quoi ! disait-on, sans égard pour le jeune âge de son fils, ce vieillard le traîne comme un valet, et se prélasse sur l’âne !» Emu par ce reproche, le vieillard prend son fils en croupe et, en ce nouvel équipage continue sa route. D’autres passants s’étant informés si l’animal lui appartenait, l’homme répondit affirmativement. On lui reprocha alors do. n’en avair pas plus soin que s’il appartenait à autrui. La bête n’était pas assez forte pour porter un si lourd fardeau, un seul homme suffisait bien pour elle. Perdant la tète au milieu d’avis si divers, notre vieillard ne savait que faire : que l’âne fut sans cavalier, qu’il en eut un, qu'il en eut deux, c’était à chaque pas un nouveau blâme. Enfin, attachant les pieds du baudet et les suspendant à un bâton dont il prit un bout et donna Vautre à son fils, ils se dirigèrent dans cet attirail vers le marché. A ce spectacle nouveau, les passants pouffaient de rire, se moquaient à cœur joie de la bêtise du fils et plus encore de celle du père. Furieux, le vieillard qui s’était arrêté au bord de la rivière, jeta par dépit son une tout ligoté dans l’eau, et rentra chez lui. Ainsi, ce bonhomme, en voulant plaire à tout le monde, non seulement ne satisfit personne, mais qui pis est, perdit son âne.

Les facétie du Podge


Titre original : Plaisante histoire d'un Vieillard qui porta son âne.

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