Un poirier sur un grand chemin
Par hasard avait pris racine,
Et près de lui se trouvait une épine
Placée en même lieu par un jeu du destin.
La route était de grand passage,
Et le poirier n’y gagnait pas :
On s’arrêtait sous son ombrage ;
On s’y faisait sans embarras
Un bon coucher de son feuillage,
Et de ses fruits un bon repas ;
Les polissons dans leurs ébats ,
Le mutilaient à coups de pierres
Dont les atteintes meurtrières
Avec les fruits jetaient les rameaux bas ;
Puis dans la saison des frimas,
Attaquant les branches entières ,
On les cassait pour chauffer des ingrats.
Quant à l’épine, elle était défendue
Par les piquants dont le ciel l’a pourvue ;
On n’en approchait nullement;
Et dame épine apparemment
S’applaudissait, se croyait fort habile,
Traitait le poirier d’imbécile,
Et concluait probablement,
Que pour jouir d’un sort tranquille
Il vaut mieux être craint qu’utile.
Serait-il donc des lieux où ce raisonnement
Pût faire quelque prosélyte ?
Nous allons voir dans, un moment,
La confiance qu’il mérite.
Un jour contre l’épine un voyageur s’irrite ;
Elle l’avait piqué violemment.
Ah ! dit-il, engeance maudite,
Tu périras, je serai sans pitié :
Et périsse ainsi qui t’imite !
Il tire son couteau, la coupe par le pied,
Humains, si vous voulez connaître
De quelle trempe il vaut mieux être,
Cette fable tous en instruit.
On abuse des bons, peut-être ;
Mais les méchants, on les détruit.