Qu’il fait bon battre un glorieux !
C’est un secret qu’on lui confie,
Et qu’il gardera de son mieux.
Plus la honte le mortifie,
Plus dans son cœur il s’humilie,
Et plus il se montre joyeux:
Il fait bon battre un glorieux.
J’en ai ru quelques-uns, mais je ne peins personne ;
L’apologue n’est qu’un miroir,
Et je l’offre à qui veut s’y voir.
Jadis aux bords de la Garonne
Seigneur Coquericot, sultan de basse-cour.
Jeune et bien fait de sa personne,
Avec l’humeur un peu gasconne,
Eut une aventure d’amour
Qui vient ici comme de cire ;
Racontons-la pour appuyer mon dire.
Coquericot disposait à son gré
D’un joli troupeau de poulettes :
L’une au plumage diapré ;
L’antre aux ailes d’argent, d’autres au col doré ;
Toutes jeunes, douces, proprettes,
Obéissantes et discrètes.
Près de ce sérail emplumé,
Un pauvre coq voisin n’avait pour tout partage
Qu’une femme, et pas davantage :
Poule africaine au plumage enfumé,
Forte de bec et leste de corsage,
En un mot, femme de ménage.
Coquericot la vit un soir
Qu’il prenait l’air au bout de son domaine ;
Et tout d’abord il se met en devoir
D’enjôler la belle Africaine,
Pour l’attirer à son joyeux dortoir.
Avant l’aube du jour il va trouver la belle ;
Elle dormait, et son époux aussi.
D’un coup de bec avec grâce adouci
Notre galant l’éveille, et soudain devant elle
Piaffe, trépigne, bat de l’aile.
D’un œil vainqueur fait briller la prunelle,
Etale enfin toute sa majesté.
Jamais il ne s’était douté
Qu’à tant d’attraits on pût être rebelle :
Il se trompait ; l’africaine beauté
Se piquait de fidélité.
Elle résiste, fuit, se tapit à côté
De son cher époux qui sommeille.
Sommeil de coq est toujours bien gagné,
Partant bien conditionné.
À la fin l’époux se réveille.
Dieux ! quel réveil ! le tonnerre est moins prompt
A signaler la céleste vengeance,
Que notre coq à venger son affront.
Le héros conjugal s’élance
Avec fureur sur le héros galant.
Si Ménélas en avait fait autant,
Il eût à la Grèce, je pense,
Epargné bien de la dépense.
Plumes en l’air voltigent à foison,,
Plumes du sultan téméraire ;
On le voit bien, sans qu’il soit nécessaire
Que j’en prévienne : il semblait un oison
Dont on a vendu la toison.
En cet état le pauvre hère
Eut le bonheur de gagner sa maison,
Où, caché dans un coin et presque en pâmoison,
Il déplorait en secret sa misère.
L’aurore vient : poulettes de sortir.
Quoi ! point de coq… et le jour va paraître !
Que fait-il ? courons l’avertir….
Mais quel objet !… est-ce là notre maître ?…
Vraiment c’est lui… dans quel état, bons dieux !
Paix, dit Coquericot, prenant l’air radieux ;
Ce n’est rien. Mais vous, mes petites,
N’avez vous pas senti les mites ?
Pour moi, durant toute la nuit
Elles m’ont fait tourner la tête,
Et celui-là n’était pas bête
Qui disait que trop gratter cuit.
Ainsi notre sultan bien battu, mais sans fruit,
Crut s’en tirer par un conte frivole.
En fut-il cru sur sa parole ?
N’importe, le détail en serait ennuyeux.
Je reviens à ma parabole :
Il fait bon battre un glorieux.

Livre I, fable 4




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