Le Moribond et son Fils Joseph Poisle-Desgranges (1823 - 1879)

A son lit de douleur,,certain octogénaire
Fit appeler son fils, unique légataire :
Mon enfant, lui dit-il, viens me serrer la main;
Peut-être que demain
Tu ne reverras plus ton père !
Je t'afflige, et de ta paupière
Des larmes ont déjà devancé mon départ.
Calme-toi ! J'ai besoin oie te parler à part :
Jusqu'ici tu ne m'as cru sans la moindre pécune;
Je te trompais, mon fils, car j'ai de la fortune !
Et dans la cheminée, en un grand pot dé grès,
Tu trouveras de l'or de l'or qui sut me plaire
Et que je laissé sans regrets.
— O merci ! mais comment avez-vous donc pu faire
Pour amasser cet or? — Hélas! je n'en sais rien.
— Vous lé savez pourtant. Vous légua-t-on du bien ?
— Non pas! J'étais très économe;
J'obligeais mon prochain par quelques prêts d'argent,
Et je n'exposais point de somme ,
A moins de dix ou vingt pour cent.
— Mon père !... — Paix, mon fils! soyez reconnaissant,
Car je l'ai fait pour vous,.... Il règne un froid silence,
Et du vieillard souffrant sonne la délivrance.
Le jeune homme aussitôt consulte des écrits,
Enlève le trésor et parcourt le pays ;
Puis s'exprimant d'une voix haute :
Artisans ! laboureurs !
Dans vos comptes, mon père, et ce n'est pas sa fauté,
A commis des erreurs
A votre préjudice ;
Cet or vous appartient; vous le rendre est justice.
Il dit, et rien n'est plus en sa possession,
Un témoin approuva cette noble action;
Mais voyant l'héritier dépourvu de ressource,
Il regrettait qu'il eût remonté vers la source
Du bien qu'il pouvait acquérir.
— Ah ! ne me blâmez pas d'avoir fait; ce partage :
Il me reste l'honneur ; que faut-il davantage?
Si pauvre je suis né, pauvre je veux mourir.
Je n'ai pas à juger mon père ou sa faiblesse ;
En rendant à chacun le dépôt qu'il me laisse,
C'est un devoir sacré que je viens d'accomplir.

Tout gain que l'on n'obtient qu'à l'aide de bassesses
N'est plus un lucre alors; il faut le renier. -
Tâchons, mortels, tâchons qu'à notre jour dernier
Nos fils ne puissent pas rougir do, leurs richesses.

Livre II, fable 3




Commentaires