La Statue et le Piédestal Joseph Poisle-Desgranges (1823 - 1879)

Non loin de l'Egypte brûlante,
De ce vaste désert où le sable mouvant
Renferme dans son sein mainte pierre imposante,
Il s'est passé le fait suivant :
Une antique statue, alors humiliée,
Gisait dans la fange oubliée.
A quelques pas était debout
Un piédestal de simple goût.
Il s'estimait heureux do son peu d'élégance
Et de sa liberté faisait un cas immense,
Quand la statue, un jour, vint troubler son repos.
— Ami, je vous rencontre ici fort à propos
Pour vous faire une confidence.
Demain j'acquiers de la puissance
Et sur un piédestal on doit enfin m'asseoir
Quel autre mieux que vous pourrait me recevoir ?
Vous brillez de travail, de grâce et de sculpture,
Et je vous ai cjioisi pour être ma parure.
L'obligeant piédestal, accédant à ses voeux,
Élève siir son front ce bloc .volumineux...
Hélas ! il sent bientôt son état de faiblesse ;
A son tour au marbre il s'adresse
Et le prie à regret, sous le poids du malheur,
De ne point accabler un pauvre serviteur.
Mais, sourde à sa supplique,
Notre statue alors froidement lui réplique :
J'ai recouvré le rang qui jadis m'était dû.
Me porter est ton loi, m'abattre est défendu.
Puis l'ingrate lovant la tête
Ne songea plus à lui
Et se fit une fête
D'affaisser son appui,

Chacun veut s'élever dans le siècle où nous sommes !
Les "plus petits ont leurs tréteaux,
Et le talent des -grands est de trouver des hommes
Qui leur servent de piédestaux.

Livre I, fable 12




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