La Fable et la Vérité Jean-Pierre Claris de Florian (1755 - 1794)

La Vérité toute nue
Sortit un jour de son puits.
Ses attraits par le temps étaient un peu détruits ;
Jeune et vieux fuyoient à sa vue.
La pauvre Vérité restait là morfondue,
Sans trouver un asile où pouvoir habiter.
A ses yeux vient se présenter
La Fable richement vêtue,
Portant plumes et diamants,
La plupart faux, mais très brillants.
Eh ! vous voilà ! bon jour, dit-elle :
Que faites-vous ici seule sur un chemin ?
La Vérité répond : vous le voyez, je gèle ;

Aux passants je demande en vain
De me donner une retraite,
Je leur fais peur à tous. Hélas ! Je le vois bien,
Vieille femme n’obtient plus rien.
Vous êtes pourtant ma cadette,
Dit la Fable et sans vanité,
Partout je suis fort bien reçue :
Mais aussi, dame Vérité,
Pourquoi vous montrer toute nue ?
Cela n’est pas adroit. Tenez, arrangeons-nous ;
Qu’un même intérêt nous rassemble.
Venez sous mon manteau, nous marcherons ensemble.
Chez le sage, à cause de vous,
Je ne serai point rebutée ;
A cause de moi, chez les fous
Vous ne serez point maltraitée.
Servant par ce moyen chacun selon son goût,
Grâce à votre raison et grâce à ma folie,
Vous verrez, ma sœur, que partout
Nous passerons de compagnie.

Livre I, fable 1




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