La Tortue et l’Écrevisse Jean Guillaume Hillemacher (1784 - 1867)

Dame tortue et sa sœur l’écrevisse,
Se trouvant côte à côte en un creux isolé,
Voulurent en commun prendre de l’exercice,
En joutant pour atteindre un endroit signalé.
C’était un étrange caprice,
Où l’écrevisse oubliait son défaut
Qui, comme on sait, la dirige en arrière.
La tortue entre en lice et, suant sang et eau,
Rampe péniblement pour fournir sa carrière.
L’écrevisse à son tour, marchant à sa manière.
L’œil fixé sur le but, s’en éloignait toujours.
Else voit son erreur, s’y reprend à rebours,
S’évertuant en sens contraire ;
Mais les moments perdus ne se réparent guère.
Le chemin est triplé : donc, adieu le dési !
La tortue empocha les enjeux du pari.

Je crois voir en ceci deux enfants de famille
Qui, de leur héritage un même jour pourvus,
Usent différemment des biens qu’ils ont reçus.
L’un aime la dépense ; avec luxe il s’habille.
l’ait bonne chère et tout à l’avenant ;
Il se trouve qu’au bout de l’an,
Sa rente dépensée, il lui reste des dettes.
L’autre, simple en ses goûts, économe et rangé,
Après toutes dépenses faites,
A du surplus, dont il fait ses mains nettes
Par placement nouveau. L’effet est préjugé :
Grâce au temps, qui produit victoires et défaites,
Ce dernier a doublé son bien,
Quand au premier il n’en reste plus rien.

Contes, fables et poésies, 1864




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