Un mouton en vaut bien un autre
Se plait-on souvent à penser.
Que ce soit le mien ou le vôtre,
Même tordu, même abimé ;
Et la toison qui le protège
Se revendra au même prix
Qu’il soit bête couleur de neige,
Ou plutôt noir, ou plutôt gris.
Un jour, sans vergogne, sans honte
L’un d’eux marqua son désaccord,
En pleine période de tonte,
Affirma bientôt haut et fort :
« Cela me semble une évidence
N’avez-vous donc pas remarqué
La pureté et l’élégance
De mon pelage satiné ?
Voyez donc comme ma crinière
Brille au soleil, se voit de loin ;
Je ne suis point bête ordinaire
Il faut me traiter avec soin.
À bien des égards, je mérite
Plus que mes voisins, c’est pourquoi
Il faut cesser d’être hypocrite ;
Regardez-les, regardez-moi !
La richesse de mes bouclettes
Est sans nulle comparaison
Avec les tristes vaguelettes
De tous ces pauvres compagnons.
D’ailleurs, au marché, ce dimanche
Sans négocier vous vendrez
Ce manteau aux teintes si blanches
Qu’il en est gênant, en été. »
On laissa donc parler la bête ;
Il est vrai que son poil soyeux
Valait, certes, quelques piécettes,
Rien non plus de miraculeux.
Mais on décida d’autre chose,
On fit le choix d’une autre approche,
Et ce mouton si grandiose
Termina sa vie… sur la broche !