Le Satyre et la Naïade Jacques Cazotte (1719 - 1792)

En se jouant dans les campagnes,
Avec les nymphes ses compagnes,
Le folâtre Dircé fit la conquête, un jour,
D'un monstre fait pour effrayer l'amour.
C'était un vieux Satyre, à la mine effrontée..
Dès qu'il la voit, un transport je saisit.
Il court, mais dans les eaux la belle s'est jetée,
Et du fond du fleuve elle en rit ;
En vain l'amant voudrait la suivre;
S'il court au mieux, il nage mal.
Il a de plus un défaut capital :
Au fond des eaux il ne pourrait pas vivre ;
Que fera-t-il ? Il cherche à l'attendrir.
Chaque jour couché sur la rive,
Il chante d'une voix plaintive
Tous les maux qu'on lui fait souffrir.
La nymphe écoute et se retire
Près de la déité qui gouverne l'empire
A qui le sort l'assujettie.
Comme elle rit, fille veut faire rire,
Et chante la chanson qui suit.
Charmante divinité,
L'amour me tourne la tête
Pour un Satyre édenté,
Un demi-dieu, plus que bête.
Son nez, fait en cornichon ,
Descend jusque sur sa lèvre;
Il a des cornes au front,
Court avec des pieds de chèvre.
Quand, sur sa flûte à sept trous,
Pour moi sa flamme s'explique,
Il rend les canards jaloux
Des charmes de sa musique.
S'il veut prendre des ébats,
Qu'à la danse il se trémousse,
On lui voit, à chaque pas,
Arracher l'herbe et la mousse.
Est-il caché dans un coin,
Il s'en faut bien qu'on l'ignore ;
On le devine de loin,
A l'odeur qui s'évapore.
Nymphes, félicitez-moi,
Ma fortune est sans seconde :
Car j'ai rangé sous ma loi
Le roi des bouquins du monde.
Les nymphes de la cour, se prenant par la main
Dansent en rond le branle, et chantent en refrain.
Pendant que, sous les eaux, on fait toute sa joie
Des maux dont l'amant est la proie,
Celui-ci, désolé d'essuyer des refus,
Fait une prière à Plutus,
Lui demande un trésor, l'obtient sans résistance :
Il refuserait Apollon ;
Le Dieu se montre à lui rempli de complaisance.
Mais, pour un vieux Satyre, non...
Vas fouiller dans cette montagne.
Le client court, et ses ongles crochus
Ont bientôt déterré les biens qu'il a reçus.
Des perles et de l'or ! Regagnons la campagne ;
Allons aux lieux que fréquente Dircé.
Il la voit, et répand ce qu'il a ramassé.
Le piège en vain n'est pas dressé:
A la nymphe il tourne la tête.
Adieu les fleurs qu'autrefois on cueillit ;
A ses regards la jonquille pâlit,
Narcisse est blême auprès de la perle qui luit ;
Ce n'est plus à lui qu'on fait fête ;
Bientôt la poche est comble, et le sein se remplit.
A prendre ce qu'elle désire,
Quatre mains ne pourraient suffire.
Le satyre observait ; il accourt ; il est là.
Qu'arriva-t-in il l'épousa.
Même je tiens d'un homme, en qui le savoir brille,
Qu'on en vit naître une famille.
Il avoit vu les petits nourrissons
Demi-bouquins, demi-poissons.

Fable 6




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