Le Villageois et le Chien Ivan Krylov (1768 - 1844)

Econome parfait, propriétaire aisé,
Un villageois, prenant un chien à son service,
Avait été pourtant assez malavisé
Pour en exiger triple office : Garder le seuil de la maison,
Cuire au four le pain du ménage,
Puis au verger, dans la saison, Donner ses soins à l'arrosage.
u A d'autres ! direz-vous, lecteur,
Vous radotez de belle sorte ! Que votre chien garde la porte.
On le conçoit ; mais, cher auteur,
Vit-on jamais la gente canine
Arroser au jardin ou chauffer la cuisine ?
— Lecteur, ai-je affirmé que Barbos l'avait fait ?
Non. J'ai dit qu'il le devait faire :
L'intention n'est point le fait ;
C'est tout en cela qu'est l'affaire.
Cumulant trois emplois, tout d'abord notre chien.
Voulut toucher aussi somme trois fois plus forte.
Puisque Barbos s'en trouvait bien,
Qu'un autre en fût lésé, qu'importe !

Tout bien conclu, le lendemain,
Pour s'égayer un peu, se promener et boire,
Le maître, rassuré, se rendait à la foire.
Le soir, de son logis il reprend le chemin
Et chez lui fait sa ronde. mécompte effroyable !
Pas de pain ! Le verger n'était point arrosé,
Et tout dans le grenier était dévalisé !
Il jette, il brise tout, jure, se donne au diable ;
Versant l'injure à flots sur l'indigne animal,
En vain il cherche à le confondre ;
Barbos à tout reproche, avec sang-froid égal,
Avait toujours mot à répondre :
S'il gardait la maison, n'en pouvant pas bouger.
Il ne pouvait dès lors arroser le verger ;
S'il allait au verger, comment pourrait-il cuire ?
Enfin, pour dernière raison,
S'il cuisait, on peut en induire
Qu'il ne gardait pas la maison.

Livre X, fable 14


Note de l'auteur : Il est aisé de voir que notre poète s'élève ici contre du cumul des places si fréquent en Russie... et ailleurs.

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