Le Petit garçon et le Vermisseau Ivan Krylov (1768 - 1844)

Le traître espère en vain vivre heureux dans le crime :
Recherché par besoin, en secret méprisé,
Sous la main qui l'emploie il est souvent brisé.
Et de sa trahison il est toujours victime.

Au clos d'un villageois, un ver, pour tout l'été.
Réclamait les honneurs de l'hospitalité.
Il promettait de s'y conduire
Toujours avec sobriété.
Et vivrait près des fruits sans chercher à leur nuire.
Toute feuille fanée et touchant à sa fin
Suffirait amplement à contenter sa faim.
« Pourquoi, dit le manant, lui refuser asile ?
Un ver qu'à peine on aperçoit
Ne saurait mettre ici mes arbres à l'étroit.
Un hôte si doux, si docile,
N'est point de trop dans un verger.
Pour deux ou trois feuilles qu'il ronge,
La belle affaire ! plus j'y songe.
Moins je puis y voir grand danger. »
Bref, il consent. Le ver sur un arbre prend place,
Et, sous une feuille abrité.
Il y trouve, en tout temps, calme et sécurité;
Pluie ou vent, rien ne le tracasse ;
Calmant son appétit, sans festins superflus,
Il vit fort à son aise et l'on n'en parle plus.

Cependant le soleil, fécondant la contrée,
A fait grossir les fruits mûris par sa chaleur.
Une pomme surtout, par ses rayons dorée.
De l'ambre transparent étalait la couleur.
In petit gourmand entre mille
L'avait fort remarquée et s'en trouvait tenté.
Mais la cueillir est dissicile : Grimper veut trop d'agilité;
Pour secouer le tronc sa main est bien débile ;
Qui pourra donc l'aider ? - C'est moi ! lui dit le ver
Ecoute un peu, l'ami : le maître, on me l'assure,
Ici va tout cueillir, car la récolte est mûre,
Et le fruit pour tous deux sera perdu, mon cher.
Pourtant je me fais fort d'aller cueillir la pomme,
Si du moins avec moi tu veux la partager.
Tu prendras presque tout ; étant fort économe,
J'en aurai pour mes jours d'une miette à ronger. »

Tout va bien ; le petit espiègle
Fait avec lui contrat en règle.
Le ver grimpe an pommier ; il ronge avec ardeur.
Et la pomme a quitté la branche.
Le ver a réussi, mais qu'a-t-il en revanche ?
La pomme tombe aux mains du petit maraudeur,
Qui sous sa dent seul l'expédie.
Puis, quand le ver enfin osa
Lui réclamer la part due à sa perfidie.
Sous son talon il l'écrasa.
Mais justice était faite, en somme :
Le ver périt avec la pomme.

Livre VII, fable 11




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