Le Loup et le Souriceau Ivan Krylov (1768 - 1844)

Une brebis novice, errant en liberté,
Par un loup qui rôdait fut au bois attirée.
Ne croyons point qu'il fût tenté
De donner l'hospitalité
A notre pauvrette égarée ;
Mon glouton, dans un coin, se met à la croquer
De si bel appétit, que sous sa dent vorace
On entendait les os craquer.
Il s'en donne à cœur joie, et pourtant, quoi qu'il fasse.
Ne pouvant dévorer l'animal tout entier,
Pour son repas du soir il en garde un quartier.
Puis, sentant sa faim qui s'apaise,
Il se couche près du butin.
Se dorlote et souffle à son aise,
En digérant son gras festin.

Un souriceau du voisinage,
Par l'odeur attiré vers le régal friand,
Sous la mousse, sans bruit, se frayant un passage.
Prend un morceau, l'enlève et le porte en fuyant
Dans le tronc d'un vieil arbre où se tient son ménage.
Témoin de ce rapt indiscret,
Le loup soudain entre en furie ;
Il fait de hurlements retentir la forêt,
Puis à tous les échos il crie :
" À la garde î tenez-le bien î
Il a pillé ma bergerie ;
Ce qu'il emporte, c'est mon bien ! »

Souvent, à la ville, on rencontre
Pareilles gens, et j'en ai vu :
On dérobe, un beau jour, la montre
De Clément, juge au doigt crochu ;
Sans songer que chacun regarde
Son coffre plein du bien d' autrui,
Contre l'autre voleur c'est lui
Qui s'en vient crier : " À la garde ! »

Livre IX, fable 2




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