D'un petit potager soigneux propriétaire,
Un moujik, au printemps, si vaillamment bêchait,
Qu'on eût pu croire qu'il cherchait
Un trésor caché sous la terre.
C’était un robuste ouvrier,
Grand, frais, de bonne mine et craignant peu la peine.
Aux concombres donnant un soin particulier,
Il avait préparé des plants à la douzaine.
Par hasard, porte à porte, auprès de lui vivait
Un savant, beau parleur, épris d’horticulture.
S'il parlait potager, tout ce qu'il en savait,
Il le devait à la lecture.
Il se prit, un jour, à songer
Qu’il pouvait cultiver lui-même,
Et prétendit, par son système,
De concombres aussi garnir son potager.
Notre homme, en attendant, du voisin venait rire.
« Voisin, lui disait-il, tu prends là bien du soin ;
Mais du succès auquel j'aspire
Tes efforts resteront bien loin.
Ton pauvre potager bientôt va nous paraître
Un vrai désert auprès du mien.
Comment te donne-t-il encor quelque bien-être ?
Tu dois avair déjà cent fois mangé ton bien.
Est-il, dis-moi, quelque science
Dont ton esprit se soit orné ?
— Aucune, je suis très borné,
Dit le mougik ; mais patience,
Bras vigoureux, robuste main,
Tout cela, joint à habitude,
M’a toujours tenu lieu d’étude,
Et c'est ainsi que Dieu m’a fait gagner mon pain.
— Quoi ! contre le savair un ignorant proteste !
— Non ; mon langage ainsi ne peut s’interpréter.
Vous ne verrez toujours, du reste,
Quand vous aurez bien fait, prêt à vous imiter.
—— Tant mieux, mon cher ; allons ! courage !
Attends l'été, nous verrons bien !
— Mais non, monsieur, n’attendons rien :
N'est-il pas temps d’être à l'ouvrage ?
Pour moi, j'ai semé, j'ai planté ;
Vous êtes le seul au village
Qui n'ait encor rien apprêté,
— Parbleu ! sais-tu ce qui m’empêche ?
C'est que j'ai lu, j'ai toujours lu,
Sans avair encor résolu
S'il est mieux d’employer la charrue ou la bèche.
Le temps n'est pas encor passé ;
Je prends le répit qu'il me donne.
— Quant à moi, je suis plus pressé :
Le temps, monsieur, n’attend personne. »
Notre homme, ainsi parlant, va, la bèche à la main,
Du travail coutumier reprendre le chemin.
Le savant est rentré. Sans trêve et sans mesure,
Du lever du soleil jusqu’à la fin du jour,
Annotant, compulsant et bêchant tour a tour,
Il sue au potager et sue à la lecture.
Des que son travail est complet,
Et qu'un semis commence a naitre,
Quelque recette qui lui plait
Dans son journal vient à paraitre ;
Mon philosophe alors accourt au potager
Régler ses plants suivant la mode,
Et s’empresse de tout changer,
Pour appliquer autre méthode.
Mais qu’en résulte-t-il ? C'est que, le mois suivant,
Le mougik voit, chez lui, tout mûrir sans encombre ;
Il s'enrichit des fruits qu'il vend,
Tandis qu'lors notre savant
N'a pas encore un seul concombre.
Contrairement au philosophe sage de la Grèce antique, dépend par Esope, le philosophe, ici, est un imbécile suffisant et prétentieux, qui utilise son intelligence pour rabaisser qui est moins instruit que lui, comme il y en a encore aujourd'hui un peu partout.